Le « cabinet de curiosités » de Sayeh Sarfaraz, déniché à Chicago après de longues recherches, est composé de plusieurs tiroirs. Sur ceux-ci, le nom d’une personne est inscrit. Quand on ouvre un de ces tiroirs, on découvre un Lego, accompagné d’un texte écrit à même le fond du tiroir. Ainsi décrit, on pourrait croire que Sayeh Sarfaraz est simplement une collectionneuse de Lego. En fait, les personnages représentent quelques-uns des prisonniers de guerre en Iran et le coffre, leur prison. Cela peut sembler bizarre quand on ne connaît pas la vocation de Sayeh Sarfaraz et son installation Étrange dictature.
En 2009, Sayeh Sarfaraz, artiste d’origine iranienne qui habite au Canada depuis 2008, trouve son droit de vote bafoué en arrivant à l’ambassade iranienne : elle n’a pas l’opportunité de donner sa voix, car Mahmoud Ahmadinejad est déjà élu. Touchée par les événements de son pays natal, Sayeh Sarfaraz utilise son talent, ainsi que sa liberté d’expression, pour dénoncer l’oppression du régime islamiste. Ayant une portée internationale, ses différentes installations, construites dans plusieurs villes comme New York et Strasbourg, offrent un aperçu de ce qui fait une dictature.
À son arrivée dans chacune des villes où elle crée une installation, Sayeh Sarfaraz se laisse, dit-elle, « imprégner par l’atmosphère des lieux » avant de commencer l’installation. De cette manière, chacune de ses créations est unique. Celle qui est présentée à Montréal au centre Montréal Arts interculturels (MAI) entre le 19 janvier et le 16 février se nomme « Étrange dictature ».
Les textes en français, présents tout au long de l’installation, invitent chacun à se poser des questions. Ils décrivent de manière objective et méthodique des dessins d’enfants qui ornent les murs : ce contraste entre l’enfantin et le froidement descriptif crée un certain malaise. Dans le même ordre d’idées, des figurines Lego représentent les manifestations, la guerre, la dictature, l’oppression : notions qui ne figurent idéalement pas dans l’univers de l’enfance. Sayeh Sarfaraz explique ce choix de concepts opposés en indiquant que dans le monde d’un enfant et de ses jouets, il n’y a pas de place pour la censure, contrairement à celui d’un adulte. Il s’agit, d’une certaine manière, de dénoncer encore plus fortement l’oppression.
Le « cabinet de curiosités » mentionné auparavant a la fonction, dit l’artiste, « d’arracher de l’oubli » les événements du passé. Son exposition est une manière pour elle de manifester puisqu’elle ne peut pas le faire en personne en Iran. Grâce à ses installations, elle veut représenter ce qui se passe dans son pays d’origine. Bien que dorénavant montréalaise, c’est l’Iran qu’elle avait en tête pendant son processus de création.
La pièce maîtresse de l’installation continue de montrer que la notion du « contraste » est véritablement au cœur du travail de l’artiste. D’un côté, plus de mille bonshommes Lego différents, et de l’autre, leur faisant face, des jouets de plastique kaki en forme de petits soldats. Entre les deux groupes, une corde où sont suspendus les dessins d’enfants. On pourrait presque y voir le jeu du tir à la corde.
L’humain, le soldat, la population, l’armée et le dictateur sont présents dans l’exposition. Pourtant, ce dernier n’est pas représenté par les figurines en plastique, bien qu’il soit au centre de l’oppression et des manifestations. Alors, où est ce dictateur ? Il n’est nulle part et partout en même temps dans la salle, représentant peut-être ce qu’il est aussi en Iran ; l’arrière-plan de l’exposition est constitué d’images filmées en temps réel dans la salle. On n’arrive pas à trouver la caméra, mais on se sait quand même filmé, surveillé. Il s’agit d’une exposition qui se veut simple et directe à cause de son rapport au monde enfantin, mais seulement aux premiers abords : en jouant avec les contrastes, Sayeh Sarfaraz montre en effet la réalité de ce qui se déroule en Iran.