Au Québec, depuis près d’une vingtaine d’années, le taux de participation lors des élections fédérales, provinciales, municipales et scolaires a connu une diminution constante. En 2008, il a même atteint le plus bas niveau des soixante-dix dernières années, soit 57,43% de participation. Deux seules exceptions confirment la règle : le référendum de 1995 et les élections provinciales de 2012. Qu’est-ce qui explique la tendance abstentionniste que semblent prendre les électeurs québécois ?
Voyant le taux de participation aux élections provinciales chuter dramatiquement, les politologues se sont penchés sur la question afin de définir les causes du désintérêt électoral. Ils en ont déduit que près d’une dizaine de facteurs avaient un impact significatif sur la volonté des électeurs à se présenter au bureau de vote.
Il a été démontré qu’un fort taux de scolarisation allait de pair avec un fort taux de participation aux élections. Cependant, alors que le niveau de scolarisation est en hausse depuis les dernières années, le taux de participation, lui, est en baisse. En fait, les diplômés universitaires votent autant qu’avant, mais la participation des citoyens n’ayant pas de diplôme universitaire a chuté. Quelles sont les explications à cette baisse ?
L’appartenance à un parti politique est un autre type d’engagement qui peut influencer le comportement d’un électeur lors d’un scrutin. André Blais, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal dans Anatomy of a Liberal Victory : Making Sense of the Vote in the 2000 Canadian Election a estimé que la propension à voter d’une personne augmente significativement lorsqu’elle s’identifie à un parti politique. Considérant que de plus en plus de personnes se disent déçues des comportements politiques des partis et de leur chef, l’affiliation politique est donc en baisse, ce qui expliquerait la diminution du taux de vote. De plus, cette déception va de pair avec un autre facteur de désintérêt : le cynisme.
Plus encore que l’affiliation partisane, l’intérêt pour la politique joue aussi un grand rôle dans la volonté de l’électeur de se présenter aux urnes. Si la vie politique ne l’intéresse en aucun cas et, qu’en plus de cela, les enjeux discutés durant la campagne n’arrivent pas à le toucher personnellement, il y a de fortes chances qu’il s’en désintéresse définitivement. De fait, la nature des enjeux peut être un fort stimulant à participer à la vie politique comme nous l’avons vu lors du référendum sur la souveraineté de 1995 et lors de la campagne électorale de 2012 suivant le printemps étudiant.
Le lien est souvent fait entre la participation à la vie citoyenne et le sens du devoir civique qui définit comme souhaitable et profitable à l’ensemble de la société la participation électorale. Pourtant, avec la hausse du cynisme chez les Québécois et un sentiment grandissant d’inutilité de l’électeur face à la chose électorale, le sentiment de culpabilité qui frappait auparavant ceux qui s’abstenaient est réduit.
Finalement, selon une analyse de la participation électorale du Directeur général des élections, les électeurs se trouvent souvent plusieurs excuses afin d’expliquer leur abstention. C’est ce que les politicologues tels que Blais ont qualifié de « contraintes personnelles ». Par exemple, utiliser le mauvais temps, la surcharge de travail, une maladie ou encore le fait que l’électeur ne se trouvait pas dans sa circonscription lors de la journée d’élection, pour masquer le simple désintérêt est devenu monnaie courante dans la politique québécoise.
Parallèlement au désintéressement massif que vit l’électorat québécois, l’abstentionnisme idéologique quant à lui dénote une critique du système politique dans lequel nous évoluons. « La critique anarchiste de la démocratie représentative vise tout d’abord l’État. Il s’agit de dénoncer l’abdication d’une hypothétique souveraineté populaire où la population délaisse son pouvoir au profit de la délégation et de la représentation, c’est-à-dire l’accaparement des pouvoirs de l’État par une élite politique spécialisée », explique au Délit le militant anarchiste Olivier Amiot. L’aspect élitiste d’un gouvernement, soit la concentration des pouvoirs entre les mains d’un petit nombre de gens, qu’il soit ouvrier, bourgeois ou aristocrate, augmente de beaucoup la susceptibilité que cette élite soit corrompue par le pouvoir. En second lieu, la critique anarchiste vise le parlementarisme et les partis politiques. «[L]e temps et l’énergie accaparés par les partis politiques sont autant d’énergie et de temps mis en dehors de l’implication dans les mouvements sociaux, là où il est possible de changer les rapports sociaux et développer des rapports de force avec l’État », continue-t-il. La dernière critique majeure des anarchistes envers le système électoral est qu’il crée une rupture entre le politique et le social alors que les deux devraient être intrinsèquement reliés.
Mais que proposent-ils, alors, si la démocratie de représentation porte à la corruption par le pouvoir, le parlementarisme et les partis politiques nous font gaspiller notre énergie et les élections, elles, empêchent nos choix sociaux de rejoindre nos actions politiques ? « Dans nos sociétés fortement intégrées et pacifiées, il y a peu d’alternatives. Il faut travailler au développement de mouvements sociaux forts, combatifs et autonomes de l’État et des appareils partisans », argumente le militant. « Cette autonomie est renforcée par des pratiques de démocratie directe et d’autogestion », ajoute-t-il. Effectivement, la base de l’anarchisme se situe dans la pratique d’une politique beaucoup plus proche de ceux qui y prennent part. Par exemple, la démocratie directe permet au peuple, et non seulement aux élus, d’adopter ou d’abroger des lois, de prendre les décisions pour leur futur.
Cependant, ce type de démocratie est souvent qualifié d’idéaliste ou encore d’utopique, car il est très difficile à mettre en application à grande échelle puisqu’il nécessiterait la participation de l’ensemble de la population pour toutes les décisions.
L’abstention idéologique a‑t-elle un réel impact au niveau de notre système politique actuel ? Malheureusement, explique Olivier Amiot, les impacts de l’abstentionnisme se font très peu ressentir, car « la démocratie est un régime politique exceptionnel qui est capable de se régénérer en période de crise. […] C’est aussi un régime qui est capable de bloquer toute réforme en apaisant les conflits sociaux potentiels. C’est-à-dire que, à notre époque, l’abstention a peu d’effets, car l’État et le capitalisme n’ont pas besoin d’une forte participation des citoyens pour rester légitime ». De fait, ce n’est pas dans le domaine de la politique qu’on en voit les réels résultats, mais plutôt dans le domaine social où l’indifférence et l’hostilité de la population à l’égard de l’État se font de plus en plus sentir.
Libertariens vs. Anarchistes