Le 21 juillet 1971,le New York Times publie un article nommé « Taki 183 Spawns pen pals » qui va révolutionner l’histoire du graffiti. En effet, 18 000 ans après les graffitis de la grotte de Lascaux, Demetrius, ou Taki pour les intimes, un jeune grec qui vit sur la 183 rue à Manhattan, commence à poser son blaze un peu partout autour de chez lui. Le street art vient de naître.
Le 21 février 2007, Sotheby’s vend l’œuvre de Banksy Bomb Middle England pour un total de 102 000 livres. Pour sa part, Taki 183 touche en moyenne quatre mille euros par toile. Que s’est-il donc passé entre le moment où les passants new yorkais ne prêtaient peu ou pas attention aux premiers graffitis et l’apparition du street art dans les plus grandes galeries du monde ? Un phénomène inédit que j’appelle la « Gentrification du Street Art ».
La culture du graffiti new yorkais des années 80, où la plupart des adeptes appartiennent à un gang, où le hip-hop fait figure de religion, où prostitués, revolvers et drogues sont monnaie courante est révolue. Une nouvelle classe de graffeurs venus de tout horizons, de tous les groupes sociaux et défendant des valeurs plus variées les unes que les autres a fait son apparition. Dire que cela est dommage relève de l’opinion de chacun, mais je pense que comme dans n’importe quel mouvement, il ne faut pas renier ses origines et ses principes fondateurs. Il est clair que le monde du graffiti est bien moins violent, mais le profit a dans une certaine mesure remplacé le but purement non-lucratif du mouvement et la spontanéité qui en fait toute son originalité et sa richesse.
Le quartier de Williamsburg à Brooklyn reflète parfaitement cette évolution du street art. Patrie du street basket-ball, du break dance et du tag, Brooklyn se transforme petit à petit en banlieue chic, intellectuelle et artistique accueillant hipsters tatoués du monde entier. Dire que les call-girl ont succédé aux prostitués, les comptes en banque bien remplis aux revolvers et les drogues à d’autres drogues serait probablement une marque de cynisme, mais c’est en m’y baladant l’année dernière que j’ai éprouvé un peu de nostalgie pour les jours où l’on volait les bombes de peinture au lieu de sortir sa Gold Mastercard.
Cela dit, j’admets tout à fait que les graphes de nos jours sont de plus en plus développés sur le plan technique et esthétique. Pour mon plus grand plaisir et, je l’espère, le vôtre, nos métropoles sont farcies de grandes fresques colorés et les petites signatures aux marqueurs sur les fenêtres des métros se font rares. Il n’y a donc pas forcément de jugement à porter sur cette « Gentrification du Street Art », mais simplement un constat à faire, tout en profitant de cette source d’inspiration et de réflexion inépuisable qu’est l’art de rue, que l’on soit aux côtés de Taki 183 en 1971 ou de Shepard Fairey en 2013.
Inutile de préciser que certains effets de mode font bien des heureux et que si vous m’aviez dit en 1971 qu’un coup de marqueur dans les rues de New York vaudrait trois SMICs une trentaine d’années plus tard, je vous aurais ri au nez. Non mais sans blague.