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Déconstruction du conte

Quand Vincent Vanoli reprend l’histoire du Petit Poucet avec Cédric Demangeot, ça donne un album pour le moins dérangeant. 

L’histoire, nous la connaissons tous. On nous l’a lue et relue, puis, quand on nous a appris à lire, nous l’avons à notre tour lue et relue. Le Petit Poucet est par essence un classique de la littérature française, et, par la même occasion, un classique de notre enfance. Sans pitié, Vincent Vanoli s’en prend à ce conte pour le déconstruire et en faire une terrible adaptation loin de s’adresser aux petits : Le méchant petit Poucet. 

Dans un univers en noir et blanc fait de traits gras et lourds vivent Poucet et ses parents, dans une modeste et triste demeure à l’ombre d’une sombre montagne. De frères et sœurs, Poucet n’en a point. Il est seul face aux coups de son père alcoolique et rustre. L’heure n’est plus à l’abandon des plus jeunes, mais à leur exploitation : Poucet est martyrisé, battu, sous le regard impuissant d’une mère lâche. Loin de toute innocence enfantine, il lui faut chasser afin de nourrir sa famille. Mais lorsqu’un jour il revient bredouille dans la maison qui n’a de familiale que le nom, Poucet fait demi-tour et décide de filer vers la forêt. Il grimpe dans un arbre et y passe trois jours et trois nuits de sommeil et de veille inextricablement mêlés, pris entre les délires de la faim et ceux de ses cauchemars. Quand il décide de rentrer au bercail, c’est pour exercer toute sa vengeance et perdre ses parents dans une forêt dont personne ne semble pouvoir sortir vivant. Aucun retour n’est possible ; l’horreur est là, infinie.

S’enchaîne alors une suite de visions cauchemardesques, de nature et de visages déformés et de silhouettes inquiétantes. Les planches sont parfaites, magnifiques, insoutenables, malaisantes. Et ainsi, l’œuvre toute entière dérange, non seulement parce qu’elle s’en prend à un conte de notre enfance, mais aussi parce qu’elle semble s’en prendre aux contes dans leur essence, comme si elle essayait de nous rappeler que rien ne sera plus jamais « comme avant» ; le fameux avant où les princes étaient charmants, où toute belle action était récompensée et où les petits garçons pouvaient sauver leur famille.

S’il est certain que cet album est d’une grande qualité visuelle, il est moins certain que vous ayez envie de lire cette histoire si génialement dessinée pour vous rappeler que… la vie est dure. Les contes de fées, et peut-être, d’une certaine façon, la Littérature avec un grand L, ne sont-ils pas là pour nous faire rêver un peu, et non pour nous infliger la dureté d’un réel que nous vivons quotidiennement ?

Et pourtant… la fin du Méchant petit Poucet n’est pas une triste fin, n’est pas dénuée de rêve. D’une certaine façon, Vanoli et Demangeot nous offrent un « happy ending» ; du moins en apparence. Car ce garçon perché en haut de « son arbre », cette solitude en harmonie avec la nature, loin de toute civilisation, loin de tout amour humain, est-ce vraiment un « happy ending » ou un faux-semblant presque aussi malaisant que le cauchemard que l’on vient de vivre ? Que penser de ce pauvre gamin désormais incapable d’entretenir des relations humaines ? Difficile de se faire une idée de cet album dont on a envie de dire « c’est génial » et « ne le lisez pas » en même temps. Une chose est sûre : après cette lecture, lors de vos balades en forêt, vous ne regarderez plus les petits cailloux blancs de la même façon.


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