À l’aube de la clôture d’un Sommet sur l’éducation supérieure qui marquera peut-être le dernier jalon du fantastique parcours du mouvement étudiant tel que nous le connaissons, l’heure est à la réflexion pour les centaines de milliers de personnes qui ont incarnées, le temps d’une saison, l’âme d’une génération en mal de changement, d’aventure et d’équité. À peine un an après les premières véritables démonstrations de force du mouvement, sommes-nous déjà prêts à faire le deuil de l’effervescence du printemps ?
La journée du 26 février marquera inévitablement la fin d’un chapitre. À moins d’un revirement spectaculaire, la clôture du Sommet sera suivie d’une perte brutale du rapport de force des fédérations étudiantes par rapport au gouvernement. En effet, la récente série de votes d’opposition à la grève ayant émané d’associations étudiantes qui n’ont pourtant jamais hésité à monter au front suggèrent que l’appétit pour un nouveau débrayage est au plus bas. Dans de telles circonstances, il ne faudra pas s’étonner que le gouvernement Marois profite de l’occasion pour renvoyer le débat sur l’éducation supérieure aux calendes grecques.
Parallèlement à ce changement au niveau des forces en présence, la transformation du visage même du mouvement sera bientôt complétée. Avec l’échéance imminente du mandat de Martine Desjardins à titre de présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), l’ensemble des grands acteurs du conflit étudiant auront quitté leur poste.
Toutefois, la présidente de la FEUQ et ses anciens frères d’armes font maintenant face à un défi autrement plus complexe que ceux qu’ils ont relevés jusqu’ici, celui de transformer un mouvement essentiellement social en une machine politique tangible. Les grands débats vont et viennent, mais il me semble que l’esprit même du printemps érable, cette surprenante capacité de transformer le cynisme le plus profond en une énergie créatrice positive, doit absolument perdurer. À long terme, les Martine Desjardins de ce monde auront la lourde responsabilité d’insuffler aux générations futures le souvenir d’un optimisme qui sait se nourrir de l’adversité et d’un idéalisme sans complexe qui se donne les moyens de ses ambitions.
Plutôt que de porter des revendications précises et quantifiables, les anciens leaders étudiants devront remplir le mandat beaucoup plus abstrait de transformer un mouvement de contestation qui aura duré le temps d’un printemps en une force politique durable. Pour ceux qui croient encore que l’avenir de la gauche québécoise est indissociable d’une présence concrète dans le monde de la politique active, le futur du mouvement étudiant réside clairement dans un déplacement graduel de la rue vers les institutions formelles qui dictent le changement. En ce sens, la possibilité de voir les leaders étudiants d’hier investir un jour nos institutions démocratiques comme l’a déjà fait Léo Bureau-Blouin m’apparaît fort réjouissante : après tout, si mêmes les individus qui ont été marqués le plus intimement par le bouillonnement du printemps érable devaient échouer à leur tour à faire la politique autrement, il y a fort à parier que personne n’y arrivera jamais.
La politique fait indéniablement la vie dure aux idéaux. Pourtant, nous avons de bonnes raisons de croire que notre génération saura s’y prendre différemment. Contrairement à celles qui l’ont précédé, la nôtre a compris que le fait de se donner corps et âme au nom de certains idéaux n’est pas forcément un gage de déception et d’amertume. Par bonheur, notre entrée dans le monde n’aura pas été marquée par une défaite référendaire ou encore par une trahison constitutionnelle, mais plutôt par le spectacle grandiose d’une génération qui voit son reflet pour la première fois et qui se sait dès lors capable de tenir tête à l’immobilisme confortable du dogme. Avec un peu de chance, le printemps érable n’aura été qu’un aperçu de ce dont l’avenir sera fait, et les leaders d’hier reviendront un jour à la charge pour transformer le monde politique de l’intérieur.
Peu importe ce qu’il adviendra des frais de scolarité en tant que tels, nous ne pourrons jamais crier victoire si nous laissons l’esprit du mouvement s’effacer avec ceux et celles qui l’ont incarné. J’ose croire que toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin au printemps érable portent désormais la marque indélébile de cet imperceptible élan d’amour qui annonce le changement. Nous avons la responsabilité de porter cet optimisme sur toutes les tribunes et de continuer à faire avancer la marche du progrès dans l’histoire du Québec à notre modeste manière. Nous pouvons nous compter chanceux d’avoir vécu l’un de ces rares moment de grâce où les idéaux diffus de centaines de milliers de personnes semblent se confondre en un seul et même insaisissable mouvement. Peut-on imaginer meilleur point de départ vers la mise en œuvre d’un nouveau projet de société ?