Il est des histoires qui n’ont pas besoin de contexte ni d’explications, qui se placent simplement et justement dans une réalité universelle qui nous parle. Il est des récits qu’on reconnaît, mais qui surprennent, des personnages qu’on admire sans pour autant les idéaliser, qui sont nous tout en étant les autres.
La Petite Révolution de Boum (Samantha Leriche-Gionet) fait partie de ces livres qui laissent pensif, qui marquent, bousculent, malgré et de par leur simplicité. Véritable écho de toutes les révolutions et de toutes leurs injustices, ce petit album publié chez Front Froid embarque ses lecteurs de révolte en exaltation avec habileté. Retour sur un petit chef d’œuvre qui ne devrait pas vous laisser de glace.
Florence est une jeune orpheline à fort caractère qui se bat pour sa survie dans une société où règne un dictateur dont on ne connaît ni le nom ni les motivations. Le lieu est nulle part et partout à la fois, il ne se définit pas, mais se reconnaît. Débrouillarde, Florence s’occupe d’Auguste, un gamin chétif et malade, fume à tout va et vole pour survivre. Tous les jours, elle écoute un vieux vinyl de Boris Vian chez un antiquaire. Tous les jours, elle rêve d’un jour meilleur en écoutant « Le déserteur ». Jusqu’au moment où son ami Dominique l’entraîne dans les sous-sols de l’opposition…
Entre pertes et batailles, Florence se lance dès lors dans une ultime révolution. L’histoire de Florence fait écho à tous les destins individuels des sociétés aux prises avec la révolution. À l’image de la case de la page 68, ce récit véhicule parfaitement l’angoisse individuelle de Florence tout en montrant que sa souffrance est partagée par tous.
Boum, dans une entrevue avec Le Délit, confie à ce propos : « Cette case m’a pris le plus de temps à faire, mais me rend aussi la plus fière. En faisant ce livre, j’ai eu à dessiner des chars d›assaut et des fusils (deux choses que je trouve particulièrement difficiles à dessiner… c’était un peu du suicide!), mais c’est cette image de foule qui m’a le plus épuisée. Dessiner autant de personnages (il y en a plus de 45) en espérant qu’ils aient tous l’air proportionnés, en mouvement, sans nuire à la lisibilité de la case (il faut trouver Florence dans le tas!), a été tout un défi. »
La Petite Révolution, c’est donc l’universel dans le particulier, l’humanité dans un seul destin… L’absence de fioriture, de semi-détours et de remplissages inutiles sert habilement cet angle de travail propre à Boum : « À la page 55, je voulais essayer de faire passer un moment lourd et chargé en émotions sans utiliser de texte, de faire une page sans mot, sans décor, où l’émotion serait si forte que les lecteurs auraient besoin de se ressaisir un peu. Ça s’est fait tout seul. C’est mon genre de cadrage dramatique, je n’y ai pas trop réfléchi. »
On accroche sur cette page parce que l’émotion y est forte, mais sans dramatisation excessive. L’illusion du réel y est parfaite. Ainsi, presque à la manière d’un documentaire, Boum évoque dans La Petite Révolution des destins comme des témoignages, avec un trait expressif et sans prétention qui prouve que cette jeune auteure sait se renouveler et innover.