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L’acharnement linguistique

Les droits francophones encore et toujours en question !

Dès le début de son mandat, le gouvernement du Parti Québécois a entrepris la préparation d’une refonte majeure de la Charte de la langue française, autrement connue sous le nom de « loi 101 ». Le fruit de cette démarche, le projet de loi 14, a pour objectif de renforcer les dispositions de la Charte concernant l’usage du français dans l’espace publique. Tout en accueillant d’un bon œil la volonté du Parti Québécois de ramener la question linguistique au coeur du débat public, je suis d’avis que le projet de loi dans sa forme actuelle outrepasse inutilement sa propre finalité.

À l’origine, la création de la Charte de la langue française en 1977 visait à renverser une tendance lourde d’ordre historique qui prévalait à l’époque et qui inhibait la mobilité sociale des francophones. Cette tendance était celle de la domination économique, politique et sociale d’une minorité anglophone généralement associée à la bourgeoisie sur une majorité francophone appauvrie. Or, il est important de s’intéresser de plus près à l’évolution de la situation entre cette époque et aujourd’hui afin de mesurer l’impératif d’agir.

 

Érosion des droits linguistiques

Si je m’oppose à certaines dispositions du projet de loi 14, c’est que je crois fermement que la population francophone du Québec a largement repris ses droits sur la société où elle est majoritaire depuis le débat des années 70. De plus, je crois que les anglophones québécois ont su démontrer leur capacité à faire preuve de bonne volonté en matière de politique linguistique. Après tout, n’ont-ils pas observé presque passivement l’érosion de bons nombres de leurs droits linguistiques ?

Dans une chronique récente en faveur du projet de loi, l’éditorialiste du quotidien Le Devoir Bernard Descôteaux partageait la réflexion suivant :

« Le français a fait des progrès depuis l’adoption de la loi 101, font valoir les opposants au projet de loi 14.

Il en a fait justement parce qu’il y a eu cette loi 101 et non parce qu’on a misé sur la bonne volonté. » Voilà un exemple typique du genre de discours qui nous encourage à nous cacher derrière la doctrine fataliste de la « survivance » pour mieux faire abstraction de l’existence d’autrui dans le processus de construction de notre affirmation nationale.

Si certaines dispositions du projet de loi 14 sont les bienvenues, d’autres recèlent ainsi une portée résolument discriminatoire à l’égard de la communauté anglophone historique du Québec et des nouveaux arrivants.

La grande erreur du projet de loi, à mon sens, est cette idée de rendre l’usage du français obligatoire dans la plupart des milieux de travail. En effet, bon nombre d’employeurs risquent de privilégier l’embauche de candidats francophones à la mise sur pieds d’un programme coûteux de francisation, occasionnant ainsi une discrimination systématique à l’égard des personnes qui ne maîtrisent pas parfaitement le français.

 

Une francisation des employés

Comprenons-nous bien : je ne nie pas l’existence du problème de l’anglicisation des milieux de travail, et tout spécialement dans la grande région de Montréal.

Cependant, je suis d’avis qu’il est possible de trouver des solutions qui ne contribuent pas à restreindre la liberté d’expression des uns et des autres. Par exemple, je serais favorable à l’établissement de sérieux incitatifs à l’utilisation du français en milieu de travail sous la forme de crédits d’impôt pour les entreprises. Selon cette stratégie, ces entreprises qui sont en mesure de démontrer la mise sur pieds ou le maintien d’un programme efficace de francisation pour leurs employés pourraient profiter de certains avantages fiscaux.

Par ailleurs, il convient de s’attarder à l’évolution de la réalité socioéconomique des communautés linguistiques du Québec depuis l’époque de la loi 101 pour mieux mesurer la pertinence du projet de loi 14 ainsi que ses impacts potentiels. Depuis 1977, année de l’entrée en vigueur de la Charte de la langue française, la situation des francophones au Québec a grandement évolué. En effet, ceux-ci ont rapidement appris à occuper l’espace publique et à réclamer ce qui leur revenait de droit, soit une part du pouvoir économique, politique et social proportionnelle à son poids démographique.

Au Québec, en 2011, 78,1% de la population parlait le français comme langue maternelle, soit à peine 2% de moins que lors du recensement de 1931. Entre temps, le poids relatif des francophones a oscillé autour des 80%, et suit depuis peu une tendance à la baisse presque marginale. D’ailleurs, celle-ci s’explique par l’arrivée importante de nouveaux immigrants plutôt que par l’assimilation des francophones eux-mêmes d’une génération à l’autre. En réalité, la véritable saignée se produit du côté des anglophones du Québec. En 1986, ils étaient 10,3% à parler l’anglais comme langue maternelle. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 7,3%.

S’il demeure que le Parti Québécois n’a pas tort de légiférer dans le but d’éliminer la discrimination à l’embauche dans le cas des unilingues francophones qui postulent pour des emplois qui ne nécessitent aucune connaissance de l’anglais, il est plutôt honteux de défendre un projet de loi qui risque d’instaurer une pareille discrimination à l’embauche pour ceux qui ne maîtrisent pas encore le français, et ce, nonobstant les exigences de l’emploi convoité.

 

 

 

 

 

 

 

 

Il ne suffit pas de transférer à d’autres le poids de la discrimination dont nous ne voulons plus être victimes, d’autant plus que les « autres » dont il est question ici sont bien souvent encore plus vulnérables que les francophones sur le plan socioéconomique.En effet, la domination historique anglo-saxonne n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Si les anglophones ont toujours un revenu moyen plus élevé que les francophones, ces derniers font meilleure figure au chapitre du revenu médian.

De plus, le taux de chômage chez les anglophones et les allophones est nettement supérieur à celui qui prévaut pour les francophones. En somme, le portrait socio-économique des anglophones et des allophones du Québec montre que ceux-ci ont besoin d’une plus grande protection sociale et d’un accès facilité à l’emploi, et non le contraire​.Il me semble qu’il est grand temps de cesser de mesurer la grandeur d’âme du peuple québécois exclusivement par son acharnement à protéger sa langue, si importante soit cette mission. Pour ma part, je suis d’avis qu’il importe de commencer plus tôt que tard à l’évaluer aussi en fonction de la détermination de la nation québécoise à protéger et intégrer ses minorités les plus vulnérables. En ce sens, le projet de loi 14 constitue un triste aveu d’échec. ξ


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