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À la soupe !

Un bol pour tous, chacun sa cuillère.

À McGill, nous avons la chance d’avoir une soupe populaire bien établie qui donne accès aux étudiants à des repas végétaliens gratuits tous les midis. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi et ce n’est toujours pas le cas dans nombre d’universités et cégeps québécois.

Un long passé

Midnight Kitchen (MK) a été créée en 2002 afin de contrebalancer la privatisation des services alimentaires de McGill et le quasi-monopole que détiennait Chartwells Corp., tel que l’explique leur site internet. Ses fondateurs voulaient fournir à la population étudiante un accès peu cher à de la nourriture saine. Le collectif a eu la chance de recevoir très rapidement le soutien de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), qui en a fait dès l’année suivante un de ces services officiels. Cela permet donc à MK d’opérer gratuitement dans le bâtiment Shatner et dans la cuisine qui a été conçue spécialement à cet effet. En 2006, l’Assemblée Générale de l’AÉUM a passé une proposition donnant le plein accès à la cuisine de même qu’une totale autonomie au collectif. Midnight Kitchen sert tous les midis une foule d’étudiants qui font la file avec des assiettes et ustensiles fournis par le collectif, qu’ils doivent par la suite laver pour être réutilisés au prochain service.

À l’Université Concordia, The People’s Potato est né en réaction aux politiques néolibérales qui commençaient à prendre de plus en plus d’espace dans la vie des étudiants, explique au Délit Jamiey Kelly, coordinateur administratif de l’organisme concordien. Il explique que c’était « aussi à propos de l’accessibilité à la nourriture. Disons que vous avez des allergies alimentaires, il vous est difficile de trouver dans les grandes chaînes de la nourriture qui vous soit accessible ». Enfin, les fondateurs du collectif ont aussi agi en réaction à la globalisation du marché de la nourriture. Effectivement, tel que l’indique Kelly, ce sont maintenant les mêmes entreprises qui fournissent la nourriture aux hôpitaux, aux prisons et aux cafétérias d’université.

Plus précisément, le collectif est né en 1999 à la suite de l’occupation d’une partie des cuisines du septième étage du bâtiment Henry F. Hall, qui étaient inoccupées depuis un certain temps. Avec l’aide de l’association étudiante, les membres du collectif ont commencé à utiliser les outils qui étaient sur place afin de servir la soupe populaire aux étudiants. Les relations avec l’administration n’ont cependant pas été faciles. « La raison pour laquelle tant de soupes populaires étudiantes se font bousculer si souvent, c’est que l’allégeance des administrations ne va pas à l’accessibilité à la nourriture et aux intérêts des étudiants, mais plutôt aux compagnies avec lesquelles elles ont des contrats », explique Jamiey Kelly. Pour ce qui est de People’s Potato, l’administration a tout d’abord tenté de leur faire fermer boutique en utilisant des arguments tels que les assurances, les formations et la sécurité alimentaire. « Mais une fois qu’on a atteint ces standards, ils doivent se référer à leurs contrats avec les grandes corporations et alors ça devient un enjeu politique, ce qui donne une bien moins bonne image que lorsqu’ils s’inquiétaient à propos des empoisonnements alimentaires », continue Kelly. Maintenant les relations sont beaucoup plus stables, explique-t-il, mais elles restent ambiguës, entre autres pour ce qui est des questions d’argent.

Le collectif Atoka du Cégep Garneau à Québec n’en est pas encore rendu là pour sa part. Le collectif, qui a vu le jour en janvier dernier suite à l’initiative d’Étienne Voyer, n’a toujours pas établi de relations avec l’administration. Il explique au Délit : « J’ai fait un cours en cuisine et j’en avais assez de faire à manger pour des bourgeois et c’est pourquoi j’ai quitté mon travail ; j’ai considéré que c’était une bonne idée de faire gratuitement de la nourriture pour les étudiants du cégep […]. La deuxième semaine, plein de gens ont embarqué. Ils ont décidé qu’on s’appelait le collectif Atoka ; ils ont fait une page Facebook ; ont décidé qu’on était libertaire. J’ai complètement embarqué. J’ai perdu un peu le contrôle, mais je trouvais l’idée de collectif tellement intéressante ».

Au niveau légal, le collectif n’est pas accepté par l’administration. Leur contrat avec les services alimentaires corporatifs interdit la production de nourriture autre que celle produite par la cafétéria. Même le café étudiant a eu des difficultés à obtenir un permis pour servir du café et des croissants. De plus, la charte de l’association étudiante stipule qu’il est interdit de cuisiner dans les locaux de l’association, mais Voyer mentionne une volonté de l’exécutif de modifier celle-ci l’an prochain. « À date, les agents de sécurité ne le savent pas ou ne s’en préoccupent tout simplement pas et l’exécutif ferme les yeux », conclut Voyer. Le collectif Atoka sert un souper une fois par semaine, les lundis, mais voudrait potentiellement rendre leurs services plus fréquents.

Une véritable organisation

Midnight Kitchen est majoritairement constituée de volontaires qui sont en charge de cuisiner, servir et nettoyer lors de chaque repas. Tous sont invités à participer tant qu’ils respectent les règles sanitaires et l’aire de respect et de tolérance qu’est le collectif. Il est possible de s’impliquer plus amplement aussi à travers le comité logistique, le comité finance ainsi que le comité de mobilisation. En plus de ses services quotidiens, MK cuisine pour des services « solidaires » tels que des projets communautaires qui s’alignent avec l’agenda politique anti-capitaliste et anti-mondialisation du collectif.

The People’s Potato a développé au fil des années une structure plutôt stable. Le collectif a onze employés payés dont six à temps plein et quatre qui sont étudiants soit à Concordia, soit à l’Université de Montréal (UdeM). De plus, la cuisine est ouverte aux volontaires tous les jours, à condition que ceux-ci suivent les consignes du collectif, comme attacher ses cheveux, se laver les mains, et agir de manière appropriée dans cet environnement que Kelly qualifie de « dénué de toute haine ». Il indique que certains jours, la cuisine peut accueillir jusqu’à quarante volontaires durant la préparation des repas.

En plus de fournir leurs repas quotidiens, le collectif répond à certaines commandes telle que préparer la nourriture pour des activités pro-environnement ou soutenant une cause socialetel qu’un pique-nique pro-choix ou une conférence organisée par la CLAC (Convergence des luttes anticapitalistes). Ils prêtent aussi leur cuisine pour des organismes tel que Burrito Project qui y cuisine tous les samedis. Une seule règle s’applique : leurs services ne peuvent pas être offerts à des partis politiques, car ils veulent que l’espace reste ouvert à tous et que certaines personnes ne se sentent pas exclues pour des raisons d’idéologie partisane.

Cotisations

La Midnight Kitchen ne reçoit que depuis très récemment des cotisations étudiantes. C’est en 2007 qu’ils gagnent leur campagne visant à avoir une cotisation facultative de 1,25 dollars par étudiant de premier cycle par session. En 2011, celle-ci augmente à 2,25 dollars. À chaque service, les étudiants sont aussi encouragés à faire un don qui s’ajoute au budget du collectif.

L’argent amassé sert majoritairement à acheter la nourriture. Beth Austerberry, volontaire pour MK, explique : « nous achetons nos ingrédients secs dans une « co-op » et nos légumes au marché. De plus, quelques supermarchés nous donnent les légumes qu’ils ne sont pas capable de vendre, soit parce qu’ils sont abîmés ou vieux ». Le collectif n’a pas de partenaire officiel, mais il travaille avec d’autres associations similaires à Montréal et, dépendamment des années, travaille avec Campus Crops, un collectif d’agriculture urbaine à McGill, qui leur fournit fruits et légumes.

Depuis 2003, The People’s Potato collecte une cotisation étudiante de 20 cents par crédit pour les étudiants de premier cycle, qui a été augmentée en 2006 à 35 cents. Celle-ci leur permet d’avoir un budget d’environ 260 000 dollars. À ceci s’ajoutent des frais stables d’environ cinq dollars pour les étudiants des cycles supérieurs, ce qui ajoute environ 12 000 dollars à leur budget. Tout comme MK, les étudiants sont encouragés à faire un don à tous les services. Kelly dit que ceux-ci varient entre 100 et 350 dollars par semaine.

La plus grande partie de cet argent sert à acheter la nourriture. Effectivement, chaque semaine, le collectif achète environ 200 livres de pommes de terre, choux, oignons et carottes, qui constituent la base de leur repas. À cela s’ajoutent souvent des dons de fruits et certains légumes qui seraient trop dispendieux pour le collectif  par Moisson Montréal, une banque alimentaire de l’île. L’autre partie de l’argent sert à payer les employés de même que les assurances et l’équipement nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme.

Le collectif Atoka, et ce dû entre autres à sa naissance récente, ne possède pas encore de base de financement stable telle que les cotisations étudiantes. Ils ont cependant plusieurs commanditaires qui leur fournissent gratuitement des légumes chaque semaine ou encore qui leur font des dons occasionnels d’ingrédients secs. Les dons, qui s’élèvent à 70 dollars par service, leur permettent d’acheter les ingrédients plus frais qui ne leurs sont pas fournis par leurs commanditaires. De plus, tous les dimanches soirs, une grande cueillette de dumpster est organisée afin de récupérer autant de fruits, légumes et pain possible.

Dans la plupart des autres universités du Québec, des soupes populaires tentent elles aussi de prendre forme. À l’Université du Québec à Montréal, c’est « Ras-le-bol » qui distribue des repas tous les mardis midi et utilise les cuisines de People’s Potato afin de préparer sa nourriture. À l’UdeM, c’est « MutineRiz » qui a effectué sa première distribution mercredi midi le 20 mars. Enfin, l’Université Laval a son Collectif de Minuit qui lui aussi distribue un repas une fois par semaine, malgré les problèmes qu’il rencontre avec l’Administration.


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