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Entre fiction et réalité

1Q84 – Volumes 1, 2, 3 de Haruki Murakami. 

Pour vous souvenir du nom de l’auteur, visualisez un mur, la première lettre de l’alphabet, une camisole. Pour vous souvenir de l’histoire, visualisez une autoroute, une professeure de sport tueuse en série et une secte dégénérée autodestructrice.

Chaque auteur a ses marques de fabrique. On reconnaît un Murakami à ses références au jazz, ses métaphores filées sur la Lune et son histoire d’amour toujours très compliquée. 1Q84 est un Murakami dans les règles de l’art. En 1984, deux trentenaires de Tokyo, Aomamé et Tengo, se retrouvent projetés contre leur gré dans une sorte d’univers parallèle : l’année 1Q84. Deux lunes flottent dans le ciel. Un pacte secret à forte tendance romantique est révélé. Un détective privé est à leurs trousses. Aomamé et Tengo parviendront-ils à s’échapper ?

Au dos de chaque volume de 1Q84 figure un résumé incompréhensible : on y parle vaguement de thriller onirique, on mentionne le génie imaginatif de l’auteur et on vous lance des termes comme « clairvoyance hypnotique » au visage. Il semblerait que seuls les fans inconditionnels de Murakami aient le droit de se lancer dans l’épopée qu’est 1Q84. Ne craignez rien ! C’est plus simple qu’il n’y paraît.

La critique que l’on fait le plus souvent à l’auteur japonais, traducteur de F. Scott Fitgerald et John Irving, est son obsession pour le fantasmagorique. Le fantastique. L’onirique. Cependant, Murakami parvient à manier ces thèmes avec précision et légèreté. La façon élégante dont il passe d’un univers à l’autre, de la troisième à la première personne, relève d’une grande sagesse quant au chaos des relations humaines. Murakami passe des états d’âme de l’un à la sagacité vicieuse de l’autre sans broncher. C’est une étude ambitieuse que nous livre l’auteur, sur les limites du désir humain, ses failles, sa profondeur. On aimerait parler de poésie, on réalise plutôt la dureté du regard de l’autre. On s’attend à du rêve, et l’on se retrouve projeté dans une réalité sans issue.

Le rapprochement avec le 1984 de George Orwell est inévitable. Publié en 1949, on a tendance à oublier que ce classique a été écrit en…1948. Pour transformer la réalité en fiction, Orwell a tout simplement inversé les deux derniers chiffres de l’année dans son titre. Ainsi, le roman glace le sang de par sa clairvoyance presque sadique tout en prenant le parti de la fiction. Où se situe l’œuvre de Murakami par rapport à celle d’Orwell ? Dans l’idée d’utiliser la science-fiction pour parler de sentiments bien réels.

Les écrivains japonais semblent friands de ce genre d’histoire qui vient vous rappeler avec douceur la violence de votre propre solitude. Les thèmes qu’explore ici Murakami ne sont pas étrangers au roman de Chiya Fujino, Route 225 (2003). Dans ce dernier, du jour au lendemain, un frère et une sœur se retrouvent dans un univers imperceptiblement différent ; seuls au monde, ils réalisent à quel point leur existence est liée à celles des autres. Malgré la part de fantastique, c’est l’universalité des thèmes qui font de ce roman, et de 1Q84, des claques en pleine figure.

Dans une de ses rares interviews, l’écrivain américain J. D. Salinger a décrit « le livre parfait » comme celui que l’on referme en se disant : « Wahoo. Cet auteur a vraiment l’air d’un type génial ». En refermant le troisième volume de 1Q84, on meurt d’envie de rencontrer Murakami pour discuter de sa vision de la vie. L’auteur, si l’on en juge par son best-seller, a vraiment l’air d’un type génial.

 


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