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Sur le besoin de se raconter des histoires

Chronique du temps qu’il fait.

Il est tout à fait à propos de regretter des choses perdues lorsqu’on tient une chronique. Aussi, j’apporte sur la table un trésor d’enfance au signifié sociétal d’une obscure profondeur. Il s’agit du premier jeu d’ordinateur obtenu en collectionnant des timbres disponibles sur les boîtes de céréales : Invasion au pays de Kellogg’s.

Avant cela, il y avait eu les jouets typiques, les gadgets, le tout en plastique. Après cela, il n’y eut presque plus que des CD-Rom et des DVD. Invasion au pays de Kellogg’s a marqué un point de non-retour dans la pratique enfantine du bol de céréales.

Imaginez-donc ce pays de Kellogg’s, une île harmonieuse où poussent des céréales en tous genres et où nos chers compères publicitaires, Tony, Coco et Cie, vivent en paix. Un beau jour, une bande de crocodiles mal intentionnés arrive sur l’île et disperse tout les précieux grains. Malheur rouge ! Le but du jeu est de rétablir la stabilité et la sécurité de l’île en allant collecter les céréales perdues et en sautant sur les crocos pour leur faire voir trente-six chandelles.

Depuis le jour divin de son arrivée par la poste, le CD-rom a tant servi qu’il a maintenant disparu, devenu cette belle chose qu’est le souvenir.

Il m’est arrivé ce matin une aventure étrange, j’ai trouvé un livre dans une boîte de Cheerios, un petit livre de rien du tout : l’histoire d’un chat ou d’un poisson, je ne me souviens plus.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que les enfants ne lisent plus ? Qu’il faut désormais des jeux raisonnables pour que vos enfants s’épanouissent raisonnablement ? Qu’il faut séduire pour faire lire, que tout fout le camp, etc ? Ou plutôt que l’on tourne en rond ? Rose Bertin, la modiste de la reine Marie Antoinette disait qu’«il n’y a de nouveau que ce qui est oublié ». La première surprise jamais distribuée dans une boîte de céréales était un livre intitulé « Funny Jungleland », c’était en 1909.

Reprenons. Après la furie des gadgets et puis celle des jeux-vidéos, que reste-t-il ? Le texte au dos du paquet. À ne surtout pas sous-estimer car le texte au dos du paquet de céréales est sûrement l’un des textes les plus lus au monde.

Ce texte est un plaisir, un « îlot » du langage selon Roland Barthes et certainement un mandarinat ; 49% des Québécois, âgés de 16 à 65 ans, ont des difficultés de lecture selon les résultats de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes.

Je reviens sur le mot « îlot », car il est capital dans l’élaboration d’un discours sur Le Pays de Kellogg’s. Si ce jeu d’ordinateur se passe précisément sur une île, il en va de même avec la vie passée. Elle est, non pas un jeu d’ordinateur, mais le dessin même d’une île, dessin rendu de plus en plus flou par cette « image mobile de l’immobile éternité » qu’est le temps selon Rousseau.

Le Pays de Kellogg’s est un pays d’enfance, une version informatisée du Neverland de J.M Barrie. Vous comprendrez donc l’étrangeté de l’apparition de ce livre dans ma boîte de céréales ce matin, il représentait l’intrus, il n’était pas invité, il était à proprement parler une Invasion dans mon île, mon passé.


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