La Ligue des droits et libertés a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au nom d’un groupe de 35 personnes arrêtées le 15 mars 2013 lors de la 16e manifestation contre la brutalité policière. Une conférence de presse a été organisée le 24 septembre dernier pour souligner le dépôt de la plainte.
Par ces arrestations, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) aurait fait preuve de discrimination fondée sur les convictions politiques, et aurait porté atteinte à plusieurs droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne, notamment la liberté d’expression et de réunion pacifique.
« Tout indique que la décision d’intervenir pour faire casser cette manifestation avait été prise à l’avance et n’était pas fondée sur la tournure des événements ou le déroulement de la manifestation » affirme Lucie Lemonde, porte-parole de la Ligue, lors de la conférence de presse. « En présumant que la manifestation allait être celle de casseurs, en annonçant que le règlement P‑6 serait appliqué de façon plus rigoureuse et en procédant à des arrestations massives sur la base de stéréotypes, le SPVM a agi de façon discriminatoire » poursuit-elle.
Catherine Desjardins, l’une des personnes au nom de qui la Ligue porte plainte, a ensuite partagé ce qu’elle a vécu au cours de cette manifestation. « Après une dizaine de minutes [où les manifestants étaient] encerclés par les policiers, un homme bien mis avec une mallette s’est fait retirer du groupe, fouiller gentiment et on lui a permis de partir. J’ai donc demandé si je pouvais bénéficier du même traitement. Un policier m’a répondu que cet homme était un travailleur et que lui n’était pas là pour faire du trouble », raconte-t-elle.
Une première pour la Commission
Si le profilage racial et social est déjà bien ancré dans la jurisprudence de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, la notion de profilage politique n’a encore jamais été examinée par celle-ci. Lucie Lemonde affirme qu’il y a néanmoins « de bonnes chances » que la plainte soit reçue, la Commission ayant récemment accepté d’enquêter sur une plainte similaire déposée par la Section Québec de la Ligue. Cette plainte dénonçait l’arrestation de 81 personnes en vertu du Code de la sécurité routière lors d’une manifestation féministe organisée par la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) à Québec.
Lorsqu’une plainte est déclarée recevable par la Commission, une enquête est ouverte à l’issue de laquelle des mesures de redressement peuvent être proposées si la preuve est jugée suffisante pour appuyer la plainte. Dans l’éventualité où ces mesures de redressement ne seraient pas respectées, la Commission peut saisir le Tribunal des droits de la personne au nom du plaignant.
Émilie Lecavalier, arrêtée lors de la manifestation du 15 mars 2013, aimerait que ce processus auprès de la Commission permette d’obtenir des excuses publiques de la Ville de Montréal et du SPVM. « On demande aussi de revoir la formation chez les policiers, par exemple en y incorporant des cours sur l’intervention sociale et sur le profilage racial et politique pour que les policiers soient à l’affût de ces comportements », affirme-t-elle.
La Commission n’a toutefois pas le pouvoir d’invalider le règlement P‑6 en vertu duquel 240 personnes ont été arrêtées le 15 mars dernier avant même que la manifestation contre la brutalité policière ne commence. Selon l’article 71 de la Charte, la Commission ne peut que « relever les dispositions des lois du Québec qui seraient contraires à la Charte et faire au gouvernement les recommandations appropriées ».
Enquête indépendante
Pour la Ligue des droits et libertés, le dépôt de cette plainte devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse représente surtout l’occasion d’obtenir une enquête indépendante sur les comportements policiers, ce que la commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, la Commission Ménard, ne permet pas, selon la Ligue.
La Ligue, qui a décidé de ne pas participer aux travaux de la commission Ménard, dénonce l’autorisation des témoignages à huis clos et le fait que les interventions policières et les décisions politiques qui ont été prises au cours de la grève ne soient pas remises en question par cette commission. « Ce qu’on voulait entre autres quand on a réclamé une commission d’enquête publique, c’est qu’elle porte non seulement sur les agissements policiers, mais aussi sur les politiques, qui, en traitant les carrés rouges de violents, légitiment la répression à leur égard » rapporte Lucie Lemonde dans une entrevue avec Le Délit.
Le comportement des policiers du SPVM sera aussi examiné dans le cadre d’un recours collectif devant la Cour supérieure du Québec contre la Ville de Montréal. Ce recours, autorisé la semaine dernière, vise à obtenir des dommages et intérêts pour les manifestants arrêtés et détenus le 23 mai 2012. Tôt ou tard, la réelle portée de la devise du SPVM « Ensemble pour la sécurité ! » sera mise au grand jour.