Des étagères pleines de livres, de feuilles de papier, des stylos, des jeux pour enfants et des coins sympas où s’asseoir pendant quelques minutes pour lire, discuter ou simplement profiter des derniers beaux jours de septembre. Nous sommes en plein cœur de Montréal, à l’angle de la rue Clark et du boulevard Maisonneuve, où s’est installée le temps du Festival International de Littérature (FIL), l’incroyable projet d’une bibliothèque extérieure, libre et entièrement gratuite. Ici, on peut venir chercher des livres, pour les lire sur place ou les emmener et les garder définitivement. On peut aussi apporter des ouvrages, remplir à nouveaux les étagères, faire partager ses lectures à des inconnus en laissant des messages qui viendront décorer les panneaux mis en place à cet effet.
La bibliothèque extérieure du FIL met en valeur un aspect essentiel de la littérature : l’importance de la circulation des textes, de leur passage de main en main, des échanges que les livres permettent entre des gens qui ne se connaissent pas. Dans cette bibliothèque peu commune, on ressent la présence des ouvrages littéraires, un peu comme si on se retrouvait dans la réserve secrète d’un pays sous régime dictatorial, où tous les livres interdits et censurés étaient réunis et protégés. Frédérique Bouchard, une des responsables du lieu, se réjouit du succès de l’installation : « Ici, les gens sont heureux!, explique-t-elle dans une entrevue au Délit. Et ils sont nombreux : en une heure, on vient de compter près de 123 passages. Quand la bibliothèque fermera (elle a fermé dimanche 29 septembre, à la fin du FIL, ndlr), tous les ouvrages seront donnés à une association qui œuvre pour l’alphabétisation ». Un lien se crée alors entre les lecteurs aguerris, les jeunes lecteurs et les futurs lecteurs ; comme une expérience intergénérationnelle.
Dans un coin consacré aux plus jeunes, Sophie Préfontaine, avocate, profite de l’endroit avec son mari et ses deux jeunes enfants. Aucun ne sait lire, l’un ne marche même pas encore, mais ils commencent déjà à apprivoiser peu à peu les lettres et les mots tracés dans de grands livres colorés. « Cet endroit est merveilleux, confie la jeune mère au Délit. Le parc et les livres, ce n’est que du bonheur. C’est un cadre qui devrait servir plus souvent à des événements de ce genre. Et c’est génial pour les enfants : ça les ouvre, ça les éveille. En les mettant très tôt face aux livres, j’espère pouvoir faire d’eux de meilleurs citoyens ». En se promenant entre les rayons et les tables, on comprend en effet très vite que cette bibliothèque veut également montrer l’importance de l’éducation et de la lecture dans la vie sociale. Des photographies grandeur nature montrent des adultes tenant des pancartes écrites d’une main émouvante mais mal assurée et ponctuées de jolies fautes d’orthographe. Ce sont les portraits des personnes analphabètes dont s’occupe l’association évoquée par Frédérique Bouchard. Par la lecture, par l’écriture, ce sont en fait l’ensemble des processus de communication qui deviennent accessibles ; l’occasion pour le FIL de rappeler que, même au Québec, tout le monde n’a pas encore la chance d’avoir accès aux bases les plus fondamentales de l’éducation.
Cette bibliothèque extérieure, petit coin de paradis perdu entre les tours du quartier des spectacles, a permis à la littérature de s’emparer, pour quelques jours au moins, de la ville toute entière. L’édition 2013 du Festival International de Littérature a, cette année encore, présenté de belles surprises et des trouvailles originales. Pour Michelle Corbeil, la directrice artistique du Festival, qui s’est entretenue au téléphone avec Le Délit, c’est un succès. En associant la littérature avec d’autres arts, comme le chant ou la danse et en organisant des événements très éclectiques, le FIL est parvenu à réunir un public varié, composé d’initiés et de néophytes, de jeunes et de moins jeunes, de riches et de moins riches, autour d’un seul objet : le littéraire.
L’année prochaine, le Festival fêtera ses vingt ans. Interrogée sur l’avenir de l’événement, Michelle Corbeil se veut positive : « On ira toujours de l’avant, en se renouvelant sans cesse. Notre but, c’est d’amener les gens à lire toujours plus. Moi, je suis une littéraire, une lectrice avant tout, j’en suis fière, il faut en être fière. Mais, comme tout le monde, nous sommes victimes des coupures budgétaires. Il faut redoubler d’efforts pour trouver des financements et avoir les moyens de monter le Festival chaque année ». La littérature et les arts sont les premières victimes d’une économie libérale et capitaliste en crise ; gratuite et fondée sur l’échange entre les individus, la bibliothèque extérieure du FIL est un pied de nez réussi à la société à l’occidentale ; une expérience qui devrait être renouvelée.