Le phénomène Bitcoin a pris une ampleur que peu auraient pu prédire à l’heure de sa création. Son expansion a été favorisée par une inflation hors de contrôle dans certains pays, ou par l’instabilité financière dans d’autres. Sa portée est telle qu’en août dernier Bitcoin a fait son entrée dans le dictionnaire Oxford.
Qu’est-ce que Bitcoin ?
Bitcoin est une monnaie digitale créée en 2009 par Satoshi Nakamoto. Bien que l’identité de ce dernier reste floue, certains analystes estiment qu’il pourrait être un universitaire fort d’une bonne connaissance théorique, mais avec peu d’expérience en programmation étant donnée l’«élégance » inégale de ses codes. D’autres croient qu’il s’agirait plutôt d’un groupe de programmeurs, d’où les différents styles de programmation et d’écriture. En bref, le doute continue toujours de planer sur l’identité réelle de son ou ses créateurs : même bitcoin.it, le site de la monnaie, n’apporte pas d’information claire.Outre son intrigante création, la principale particularité de Bitcoin est d’être une monnaie décentralisée, c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucune entité centrale – comme la Banque du Canada par exemple – mais plutôt d’un réseau P2P Peer to peer,c’est-à-dire un réseau qui relie entre eux plusieurs milliers d’ordinateurs, en partage. Ce réseau est notamment responsable de l’«extraction » (de l’anglais bitcoin mining) des bitcoins et de la confirmation des transactions. Par exemple, le réseau a dû confirmer 55,402 transactions du 3 octobre midi au 4 octobre même heure, et elles ont généré, selon blockchain.info, 34.07 BTC (Bitcoins) (environ 4,665$ USD) en frais de transaction. L’attrait de la monnaie Bitcoin et de son réseau s’explique par les transferts rapides et peu dispendieux, puisqu’ils ne nécessitent pas l’intervention d’une tierce partie telle une banque. En fait, les frais de transaction sont choisis par le payeur et servent d’incitatif au réseau pour confirmer et crypter la transaction. Bien que les transactions soient publiques, elles ne peuvent être reliées à un utilisateur, donc un compte ne peut être ni gelé ni identifié, si les précautions nécessaires sont prises. La monnaie a atteint un sommet historique lors de la crise fiancière chypriote le printemps dernier. La monnaie bitcoin s’échangeait alors à un prix médian de 237 dollars américains. Cette semaine sur mt.gox – le plus gros marché d’échange – sa valeur oscillait plutôt entre 145 et 109 dollars. Ces fluctuations, plus larges qu’à l’habitude, peuvent être expliquées par le démantèlement du marché noir sur Internet « Silk Road » par les autorités américaines au début du mois d’octobre : Bitcoin était la seule devise acceptée sur le site. Habituellement, les variations sont dues à de larges transactions qui déstabilisent le marché, qui manque de volume. Ce phénomène Internet continue de prendre de l’ampleur si bien qu’il se transporte maintenant à Montréal.
L’ambassade, lieu de promotion
L’ambassade Bitcoin, située au 3485 boulevard Saint-Laurent, a ouvert ses portes le 17 août dernier. Pour l’occasion, plusieurs conférences et discussions ont eu lieu. Guillaume Babin-Tremblay, le directeur exécutif de l’ambassade, confiait le 30 août dernier au Bitcoin Magazine que le projet d’ambassade a commencé lorsque le président de la communauté a proposé que les rencontres aient lieu dans un de ses immeubles. De fil en aiguille, la bâtisse a été dédiée complètement aux projets reliés à Bitcoin et le concept d’ambassade est venu par la suite.M. Babin-Tremblay a confié au Délit que l’ambassade emploie seulement deux personnes pour le moment, mais que des embauches sont prévues dans les prochaines semaines. Toutes les activités de l’ambassade sont financées par des dons individuels, des commandites de diverses organisations Bitcoin.Le premier des trois étages du bâtiment est dédié à une boutique et un centre éducationnel sur le Bitcoin. Le second accueille les rencontres et les conférences, alors que le troisième héberge des bureaux.Selon le site Internet bitcoinembassy.ca, l’objectif de l’ambassade est de : « promouvoir l’adoption du Bitcoin et des technologies y étant reliées en facilitant le réseautage avec la communauté Bitcoin à travers le Québec et le Canada. » Guillaume Babin-Tremblay ajoute aussi qu’avoir une présence physique et un support technique aisément accessible allaient faciliter l’adoption de la technologie Bitcoin par les commerces et rendrait le tout plus sécuritaire.
Un produit qui ne fait pas l’unanimité
Alors que l’ambassade ouvre ses portes à Montréal, la nouvelle monnaie continue d’enflammer les passions. D’un côté, on trouve ses adeptes, qui y voient la fin du monopole des banques centrales et commerciales, de l’autre les sceptiques qui remettent en question son utilité et estiment que ce n’est là qu’un phénomène passager.Felix Salmon, un des commentateurs économiques les plus connus du Web, fait partie de ces sceptiques. Alors que Bitcoin atteignait son apogée, il publiait un billet sur son blogue, medium.com où il dressait un portrait du phénomène et faisait des prédictions sur l’avenir de la monnaie. Il critique la structure même de Bitcoin, qu’il croit basée sur la méfiance et sur la déresponsabilisation. Felix Salmon note aussi que le système anonyme et décentralisé, qui est considéré comme une force de Bitcoin, peut aussi être une faiblesse, particulièrement en ce qui a trait à la sécurité. Il donne l’exemple d’un utilisateur uniquement connu sous le pseudonyme d’«All-in-Vain », qui a laissé son ordinateur connecté à Internet durant son sommeil. À son réveil la totalité de ses coins avaient disparu. Impossible de retracer le voleur et aucune autorité vers qui se tourner pour avoir de l’assistance.La sécurité a été un point central lors de l’entrevue du Délit avec M. Babin-Tremblay. Il a vanté différentes techniques qui sont utilisées pour protéger les fonds. Notamment celle du « paper wallet », d’ailleurs expliquée sur le site de Bitcoin, qui est une des méthodes les plus sécuritaires. C’est un code aléatoire de 51 caractères de long que l’on peut générer à l’aide d’un ordinateur déconnecté d’Internet. On peut ensuite déposer une quantité illimitée de coin sur ce compte, tout en étant à l’abri des voleurs.Le commentateur financier Felix Salmon affirme que si cette monnaie cryptée devait un jour être largement utilisée, cela serait une catastrophe pour l’économie. Le fait qu’elle soit disponible en quantité limitée entraînerait une spirale déflationniste ; en d’autres termes, tout perdrait constamment de la valeur par rapport à Bitcoin, et personne alors ne dépenserait plus d’argent. Il finit son article en affirmant que Bitcoin servira peut-être de tremplin pour qu’une autre monnaie plus adaptée émerge.