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La rue, le livre

Gabriel Nadeau-Dubois publie Tenir tête chez Lux Éditeurs.

Gabriel Nadeau-Dubois a été le porte-parole de la Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) jusqu’au 9 août 2012. Association militante regroupant le plus grand nombre d’étudiants pendant la plus longue grève étudiante au Québec, sa structure démocratique complexe a fait de son porte-parole la tête d’attaque et de mépris de certains chroniqueurs et médias ; de la même façon qu’elle en a fait un sujet d’admiration. Fort de ses positions politiques, l’auteur a médité son ouvrage, Tenir tête, pendant un an. En entrevue exclusive avec Le Délit, Gabriel Nadeau-Dubois avoue qu’il fallait prendre « le temps de dire », un peu comme si l’écriture, ici nécessaire, était la chute, mieux « le point de rupture » entre le personnel et le politique.

Raconter est une prise de position sur le réel, sur l’histoire, une prise de contrôle sur soi ; et si l’écriture est une fin en elle-même, elle est aussi une recherche, une quête de sens. Tenir tête, publié chez Lux Éditeur par l’ancien porte-parole de la Coalition large pour une solidarité sociale étudiante (CLASSE) Gabriel Nadeau-Dubois, incarne ce désir de dire la vérité sur la grève étudiante de 2012.

Livre de la mémoire collective, livre de confession personnelle, il est à la fois « essai et récit », selon son auteur. Il pose un regard critique sur la grève, où l’histoire est disséquée page après page, ponctuée d’anecdotes heureuses et malheureuses. Ainsi s’élabore l’écriture de Nadeau-Dubois : « Ma démarche : passer du particulier au général ; et c’est comme ça qu’est construit chacun de mes chapitres. »

Tenir tête est un livre de démonstrations, d’argumentaires rigoureux dûment validés, ponctué par l’aveu de l’imprévisible, de la vulnérabilité humaine, et de la mémoire.  À la page 164, l’auteur s’interrompt et réfléchit à son processus : « Ce travail d’écriture remue des souvenirs douloureux. »

Cette douleur de l’écriture, « inévitable » dit-il, est chez lui celle de la prise de distance en tant que porte-parole ; douleur qui ne crée pas la paralysie mélancolique ou l’effondrement, mais, au contraire, fait avancer le discours historique en scandant, par leur agencement et leur oscillation, le fait et l’affect. Nadeau-Dubois insiste sur le fait que l’écriture est toujours un moyen de faire passer les positions politiques, de raconter le Québec tel qu’il l’a vu et vécu au printemps 2012.

Cette douleur est aussi celle que se sont partagés bon nombre de militants, quant à certaines injustices encore fortes dans la mémoire collective à la question de la « brutalité policière », l’ambiguïté idéologique du parti dirigeant. À ce propos, Nadeau-Dubois dit qu’encore aujourd’hui « nous sommes dans le refoulement» ; les plaies de la résistance guérissent lentement, parce qu’elles jaillissent de questions fondamentales.

L’Histoire traverse le texte, de l’attaque à la fermeture. C’est une obsession encore nourrie par une recherche et une quête de sens. « L’Histoire est une bataille, dit-il en se référant au philosophe Walter Benjamin, et la culture est un butin. » Tenir tête est son récit à lui, comme figure marquante du mouvement étudiant, à travers lequel il retourne aux intentions fondamentales de son engagement. « Un retour aux sources », renchérit-il, qui s’est effectué au long de la dernière année, quotidiennement, porté, épaulé par l’éditeur.

Questionné sur le titre, Gabriel Nadeau-Dubois évoque son ambiguïté : « tenir tête » était ce qui poussait certains à s’engager et d’autres à s’opposer. « C’est une des raisons pour laquelle les gens se sont identifiés à la grève et c’est aussi une des raisons pour laquelle les gens nous ont détestés ». À peine une respiration et l’auteur enchaîne sur sa génération qui a fait « sa part de l’Histoire », génération post-mur-de-berlin, post-guerre-froide née et élevée dans le néolibéralisme, essentiellement sans alternative idéologique. Certes, elle n’est pas la génération lyrique de l’essayiste François Ricard, celle des Grands projets et de l’espoir. « En même temps, ce n’est pas de la nostalgie », insiste-t-il, la Révolution tranquille a ses splendeurs et ses impasses et l’idée n’est pas de « reproduire l’État providence mais de renouveler et de réadapter ses valeurs ».

Citant l’ancien ministre du budget Raymond Bachand en introduction, notamment son budget déposé en mars 2010, voulant provoquer une « véritable révolution culturelle » (p.12), l’ex porte-parole confie avec l’ironie qu’on lui connaît que son livre est « une opposition claire au projet révolutionnaire des libéraux ». D’ailleurs, il consacre un chapitre pour établir les faits sur deux idées qui ont marqué le discours opposé : la juste part et l’excellence. Avec lyrisme il personnifie la faiblesse morale de ses opposants et écrit : « N’en déplaise aux crapauds qui aiment les eaux mortes des marais et qui craignent les débordements des rivières au printemps, les débats et les conflits politiques, la rue, ne sont pas l’ennemi de la liberté politique, ils en sont l’oxygène. »

Écrire le récit d’une lutte, c’est éviter de manière forte l’aliénation, corriger les injustices qui ont été commises, dit-il. D’ailleurs, en ce qui concerne les multiples publications traitant de la grève, et qui peuvent parfois trahir l’objectivité, l’auteur loue la multiplicité des points de vue et la diversité de leur forme.

L’émancipation culturelle et politique retrouvée dans la grève et transposée dans ce texte lui insuffle quelques envolées lyriques. Ainsi, le dernier chapitre « Tout ça pour ça » s’ouvre sur un exergue de Gaston Miron dans laquelle Nadeau-Dubois se reconnaît et retrouve une vision de la collectivité semblable à la sienne.

Or, en plus de Miron, une dizaine d’autres penseurs en référence, en évocation ou en esprit sont présents dans le texte. « C’est un jeu », s’amuse-t-il à dire, où se crée un dialogue entre le texte et l’Histoire et lui confère sa richesse.

Échangeant, digressant sur le livre, l’écriture et la politique, l’auteur insiste sur son honnêteté et sa  volonté de sincérité totale. Et le livre lui-même est acte politique « parce qu’il continue à construire le récit et la mémoire de la grève ».


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