Geneviève Tessier-De L’Etoile imagine pour sa pièce, qui s’est jouée au théâtre de la Risée du 23 au 26 octobre, les vies de plusieurs femmes sur trois générations. Au total, trois actrices prêtent leur visage à dix femmes en changeant de costume à même la scène derrière un voile noir. Entre deux répliques, nous sommes transportés d’époque en époque : on voit une enfant qui pleure parce que sa mère lui reproche d’être trop grande et de parler trop fort, on voit cette même fille plus tard se faire renvoyer de son travail pour avoir frappé sa patronne, acte qui ne convient pas à la nature féminine selon l’entremetteur de l’agence, puis on voit une dame qui, face à Dieu et à son curé, refuse d’arrêter de prendre la pilule pour le bien de sa famille. Le but étant de comprendre la progression des conditions de vie des femmes enfants et adultes en passant par celle d‘une femme âgée d’un temps passé.
Se croisent et se mêlent des femmes qui n’ont eu que le malheur de naître femmes. Elles sont intelligentes, modestes, mais gare à ceux qui voudraient leur marcher sur les pieds. L’auteur, en créant cette pièce, a voulu « écrire avec cœur sans cynisme ni morale », et c’est ce que l’on ressent. Aucune de ces femmes ne se déclare victime d’une société machiste, ou ne revendique une certaine méthode féministe pour fuir sa condition. Ici, nous restons ancrés dans le réel et faisons face à des situations on ne peut plus contemporaines. N’y a‑t-il pas des moments où les femmes de 2013 font ce que leurs hommes veulent juste pour leurs beaux yeux ? Et pourquoi ? Parce que « les hommes sont comme des goldens retrievers qui savent quels yeux faire pour pouvoir sortir faire un tour par ‑20 degrés » constate Amélie Bélanger, l’une des actrices. Aujourd’hui, on espère pouvoir rire de celui qui, en voulant alléger notre travail, nous offrirait un lave-vaisselle. Hier, nos grand-mères souriaient en rêvant de pouvoir retourner au travail et quitter les couches sales et l’aspirateur. Face à un mari, victime du qu’en-dira-t-on, Sylvie, jouée par Laurence Perrault, tente de faire valoir son point de vue. Avoir une femme belle et épanouie est plus souhaitable, non ? Mais « qui est-ce qui doit rester belle les mains dans la merde?»; elle.
La mise en scène est intime, quelques chaises sont disposées devant l’estrade. Cette intimité invite à découvrir les sentiments de ce qui se passe au fond des cœurs de chacune de ces femmes. Il faut pouvoir identifier les moments importants de leur vie pour comprendre ce qui les blesse. Une femme raconte la difficulté de vivre en étant lesbienne après le départ de son amante. Une autre explique son choix d’avorter même si elle doit affronter les larmes de sa mère. Une autre doit vivre avec le désespoir d’avoir perdu son fils par accident, en subissant les accusations d’être une mère indigne. Comme le titre de la pièce le sous-entend, on fait passer ce qui se passe vraiment en dedans, en dehors. On rend visible l’invisible sans en changer ses composantes. Derrière le voile de la scène, on aperçoit enfin ce qui est sensible, comme si on regardait à travers le voile que nous portons tous pour en faire ressortir nos propres peines. On passe, simplement et honnêtement, du dedans au dehors.