Le 17 octobre dernier avait lieu le lancement de sept œuvres des éditions du CHU Sainte-Justine, le centre hospitalier universitaire mère-enfant de l’Université de Montréal. Quinze ans de recherche professionnelle multipliés par sept, une soirée pour quinze minutes de présentation. Le Délit était présent pour récolter les propos des éditrices et de quelques auteurs. Cette maison d’édition a cela de particulier que ses bureaux sont au sein même de l’hôpital. Marie-Ève Lefebvre, qui partage le poste d’éditrice avec la directrice Marise Labrecque, explique que leur maison d’édition est « un service de documentation aux parents ; tous les livres sont orientés vers les thématiques touchant à l’enfant, la mère, la famille et la santé. Les auteurs sont des professionnels de la santé, ils sont là pour aider les parents, la famille ou les autres intervenants dans un partage de savoir et de connaissances ».
Naître et jouer, des dangers insoupçonnés
Entre une dizaine et une quinzaine d’ouvrages sont publiés chaque année par cette maison d’édition. Sept d’entre eux sont à l’ordre du jour, à commencer par Les sages-femmes dans la Francophonie, témoins silencieuses de la vie…et de la mort sous la direction de Marie Hatem, professeure agrégée de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Cet ouvrage, qui regroupe des textes d’infirmières et de sages-femmes issues de nombreux pays francophones (Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Sénégal, Togo, Liban, Maroc, Tunisie, Haïti, Belgique, France et Suisse) présente les réalités socioculturelles et politiques multiples des aides-soignants à la maternité et à la naissance, en plus de proposer de nombreuses recommandations pour améliorer l’accessibilité et la qualité des services offerts aux mères et aux enfants. En réponse au taux de mortalité maternelle et infantile alarmant dans certains pays en voie de développement, Marie-Ève Lefebvre présente ce livre comme « une fenêtre ouverte sur l’histoire et la réalité des naissance », propos tirés de la quatrième de couverture du dit livre.
Le second ouvrage présenté, Le monde des jouets et des jeux de 0 à 12 ans, par Francine Ferland, ergothérapeute et professeure émérite de l’Université de Montréal, présente un travail de recherche sur les possibilités infinies qu’offrent les jeux et les jouets aux enfants, sur le rôle dans le développement et la découverte du monde, ainsi que leur place dans les interactions interpersonnelles. Ce n’est que la pointe de l’iceberg puisque sont aussi présentés des conseils, des mises en gardes et de nombreux autres aspects, notamment les risques liés aux jouets dits éducatifs. Bousculant quelques croyances et ouvrant les yeux sur les limites que constitue la création de jouets destinés au développement, limitant justement la création, cet ouvrage relate, décrit, questionne et propose avec rigueur.
L’autre regard sur le handicap
S’ensuit l’annonce de la parution de L’enfant autiste, stratégies d’intervention psychoéducatives, une collaboration de Suzanne Mineau, Audrey Duquette, Katia Elkouby, Claudine Jacques, Anne Ménard, Pamela-Andrée Nérette, Sylvie Pelletier et Ghitza Thermidor, toutes psychoéducatrices. Cet ouvrage offre conseils et soutien aux parents qui reçoivent le diagnostic de leur enfant autiste, proposant des stratégies pour intégrer l’enfant à son milieu social au quotidien. Redonner aux familles en détresse l’espoir de la compréhension au détriment de l’impuissance, proposer des stratégies de communication, favoriser l’épanouissement des enfants atteints d’autisme, ce sont les buts visés par cet ouvrage destiné à être remis à des parents ayant besoin d’aide de la maison à l’école en passant par la garderie.
Le livre présenté ensuite, écrit par Richard Léonard, doctorant en éducation de l’Université de Montréal, orthopédagogue et conseiller en adaptation scolaire avec une collaboration de Germain Duclos, psycho-éducateur, orthopédagogue, auteur et conférencier, semble être celui dont la parution est empreinte de la plus grande polémique. Une école pour tous, l’intégration des enfants handicapés ou en difficulté propose de penser l’école autrement. Ne niant pas les progrès réalisés au cours des dernières années, Richard Léonard fait part au Délit de l’intention de son ouvrage : « Il remet en cause la conception de la réussite par l’école. La réussite est plus grande que les notes. On demande au système d’éducation de changer sa façon de voir les élèves en difficulté. En imposant des limites irréalistes aux enfants en difficulté et en leur demandant d’être comme les autres, on risque de rendre malheureux les enfants, les parents et les enseignants. On cherche à améliorer les résultats des enfants, mais il faudrait chercher à améliorer l’école elle-même. » Richard Léonard a été directeur d’école pendant quinze ans, observateur à cheval entre le milieu de l’éducation et celui de la santé, c’est aussi dans son histoire qu’il trouve des exemples, ayant été lui-même en difficulté dès la naissance en raison d’un manque d’oxygénation. L’intégration de tous les enfants, handicapés physiques ou mentaux, ayant des troubles comportementaux ou des difficultés d’apprentissage demande du travail et de l’énergie de la part des écoles et du personnel enseignant, et ce travail est trop souvent bâclé. Les difficultés rencontrées ne peuvent se dissoudre sous le silence et c’est de tous les côtés qu’il faut travailler à adoucir les peines.
Adoucir les relations
L’ouvrage suivant, Intimidation, harcèlement, ce qu’il faut savoir pour agir par Frédérique Saint-Pierre, docteure en psychologie, chargée de cours à l’Université de Montréal et psychologue à la Clinique socio-juridique du CHU Sainte-Justine vise à la prévention et à l’intervention dans les situations d’intimidation. Conçu pour comprendre, résister, dénoncer et remédier aux situations difficiles rencontrées par les enfants lors de leur intégration auprès de leurs pairs, l’ouvrage reprend les causes et les moyens des agressions sans passer sous silence les cyberintimidations. Les résultats servant à la recherche proviennent d’études récentes sur la question et des mesures originales (par exemple musique et chant) pour pallier à ce fléau sont proposées, rappelant par ailleurs le rôle important des témoins lors de telles situations.
La parution de L’autorité au quotidien, un défi pour les parents par Brigitte Racine, infirmière spécialisée dans les relations d’autorité et d’encadrement des enfants et des adolescents est ensuite annoncée. Militant pour une meilleure communication entre les parents et leurs enfants, l’ouvrage recueille une quarantaine de situations quotidiennes types pour lesquelles différents moyens d’intervention et de prévention sont proposés. Pour Brigitte Racine, adoucir la vie de famille et améliorer l’épanouissement des enfants semble pouvoir débuter par quelques apprentissages, s’alliant au temps et à la persévérance du côté des parents.
La mort, un choix ?
Le dernier ouvrage présenté, Mourir à l’ère biotechnologique, sous la direction de Sylvie Fortin et Marie-Jeanne Blain, anthropologues de métier, rassemble les textes de Fernando Alvarez, Gilles Bibeau, Philippe Blouin, Marie-José Clermont, Chille Dallaire, Jacques Dufresne, Michel Duval, Liliana Gomez Cardona, Jean-Sébastien Joyal, Jacques Lacroix, Guylaine Larose, Serge Maynard, Jean-Christophe Mino, Antoine Payot, Line St-Amour, Sanja Stojanovic et Patrick Vinay, tous liés aux soins palliatifs par leur métier, professionnels de la santé ou chercheurs en sciences sociales.
Lorsque Le Délit demande à Sylvie Fortin : « Pourquoi ce livre ? », elle lui répond « mourir aujourd’hui, c’est pas simple. On ne meurt plus, on choisit de mourir. Ça pose des questions morales de valeurs, ça interpelle. Les cliniciens doivent prendre des décisions pour lesquelles ils sont mal équipés. Le livre veut offrir des pistes pour réfléchir à comment la technologie change la médecine et le rapport à la mort ». En effet, les avancées technologiques diminuent grandement le nombre de décès dits naturels et les professionnels de la santé se voient contraints à faire des choix, celui du début de la mort, de la fin de la vie. L’amélioration de la qualité de la vie dans nos sociétés contemporaines se mêle étroitement à celle de la qualité de la mort tout comme les soins portés aux humains se mêlent aux avancées technologiques spectaculaires. Les progrès ne sont pas uniquement techniques, ils cherchent à devenir – par le biais de rencontres pluridisciplinaires d’où émergent réflexions et échanges entre médecins, infirmiers, anthropologues, psychologues, philosophes, historiens et étudiants – éthiques. De la néonatologie en passant par la pédiatrie, le thème prépondérant, et la médecine des adultes jusqu’au grand âge, l’ouvrage recèle de témoignages, de questionnements, de propositions et surtout de remise en cause de principes établis dans une ère différente de la nôtre sous de multiples aspects.
Les défis actuels sont loin d’être aisés pour les cliniciens, formés d’abord pour soutenir la vie et se retrouvant aujourd’hui face à des situations d’acharnement thérapeutique où cette vie s’oppose parfois elle-même à sa qualité. Le choix, qui le fera ? Le médecin, la famille, le patient, un comité ? « Ces décisions doivent tenir compte de l’incidence sur le bien-être physique de la personne, mais aussi sur son bien-être psychologique et social. […] Les interventions qui sauvent des vies peuvent, dans certaines situations, prolonger la souffrance ou sauvegarder la vie dans des conditions inacceptables », écrit Guylaine Larose. On est encore loin d’un consensus universel, au cas par cas, les soignants tâtonnent, tentant tant bien que mal d’offrir à leurs patients une fin digne, d’apaiser leurs souffrances sans toutefois les abandonner à la mort. Ce sont les voix de l’histoire dans différentes cultures, de la philosophie, de la médecine, de l’anthropologie qui essayent de trouver une médecine humaniste au-delà de l’expertise technique. Ce sont celles de la clinique qui posent la question des décisions dans la trajectoire des soins (de curatif à palliatif) et celles de la recherche qui posent les questions de compétence et de modulation des pratiques des soignants au quotidien pour les patients atteints de maladies chroniques.
Finalement, les voix de la poésie harmonisent l’écho des autres, sous les propos du philosophe Jacques Dufresne avec lequel est explorée l’expérience de la maladie, les mystères de la mort, le « système technicien » ainsi que le rapport à la souffrance, à la liberté de choix, à la connaissance et à la palliation. La mort, sujet tabou parmi les vivants qui s’y préparent pourtant, prend une perspective et une place nouvelle dans notre société contemporaine.
S’étant rejoint à la discussion avec Sylvie Fortin, Danielle Poitras-Martin, psychologue retraitée travaillant en neuro-traumatologie, « auteure en devenir », s’adresse, en touche finale, au Délit. Elle dévoile son projet en cours de rédaction, Le cheminement émotif et l’adaptation psychologique du jeune neuro-traumatisé. On entend par « neuro-traumatisé » une victime d’AVC, de tumeurs cérébrales, de blessures à la moelle épinière, d’accident entraînant un traumatisme crânien ou encore d’une maladie ayant laissé des séquelles malgré la vie maintenue. La qualité de vie des patients, les résultats de l’acharnement thérapeutique ainsi que les délicats et ardus choix des cliniciens trouvent une répercussion dans le chaos des jeunes contraints de vivre avec ce qui leur est arrivé. « Le deuil de l’ancien et le réinvestissement dans un nouveau soi, la réadaptation et la réinsertion dans une société où productivité semble être le mot d’ordre » constituent la pointe de l’iceberg du tourbillon émotionnel que rencontrent les jeunes neuro-traumatisés.
Questions, réflexions et intégration dans la société se rejoignent dans les thèmes des sept livres présentés lors du lancement. La recherche d’une unité multiculturelle s’accordant autour du contexte médical actuel par le biais d’échanges, de communications et de remise en questions des principes établis antérieurement, au temps où n’existaient pas encore les nouvelles contraintes liées au progrès des sociétés font de ces ouvrages (destinés principalement aux parents des patients et aux professionnels de la santé) des recueils recelant de pistes de réflexions pour quiconque est sensible à l’évolution d’un monde. La santé des hommes, mentale ou physique, c’est un peu le miroir, le reflet et l’ombre d’une société.