Dimanche soir, à la télévision, les Québécois avaient le choix : Tout le Monde en Parle (TLMEP) sur Radio-Canada, ou Le Banquier « spécial Céline Dion » sur TVA.
Ah oui, et c’était aussi la soirée électorale, sur RDI.
Les deux grandes chaînes de télévision ont décidé de diffuser des émissions jugées « grand public » (qui font d’habitude des cotes d’écoute de 1 500 000, en moyenne) en pleine soirée électorale, alors qu’on annonçait les résultats du vote dans plus de 1100 municipalités de la province. Comme si de rien n’était.
C’est lamentable. Comment veut-on que le public s’intéresse à la politique municipale si les médias ne font même pas l’effort d’en prioriser la couverture ? Et, plus que tout, le jour où les Québécois sont appelés à voter.
Idem le 9 octobre, lorsque la deuxième partie du débat Radio-Canada-McGill des quatre principaux candidats à la mairie de Montréal était passé sur RDI parce que la première chaîne ne voulait pas couper le feuilleton quotidien Trente Vies. Encore heureux que RDI soit là pour minimiser la faute.
On a répété l’importance d’aller voter, de s’intéresser aux enjeux municipaux – des enjeux qui, on s’en aperçoit rapidement, nous touchent de près, puisque le municipal est le niveau de gouvernement le plus proche des citoyens. Surtout, en ce qui nous concerne, à Montréal, où cette campagne avait de grands enjeux et où ce vote était censé être « historique ». En effet, il allait (on l’espérait) mettre fin à toute une période de corruption et d’abus de confiance.
La couverture médiatique de la campagne a été bonne. Il y a eu beaucoup de débats, beaucoup d’entrevues et d’émissions d’analyse. Des reportages dans les arrondissements. La grille de programmation de la soirée du 3 novembre est venue planter un couteau dans le dos des journalistes qui ont travaillé fort pour couvrir les élections municipales, et dans le dos des citoyens qui se sont intéressés et engagés, de près ou de loin, dans cette campagne.
Pour TVA encore, on laissera passer l’affaire. La chaîne ne fait que suivre sa politique de diffusion : des grosses émissions à gros budget et à gros spectacle. On ne va pas se voiler la face : Céline, ça fait quand même plus in que Denis.
Mais Radio-Canada ?
Franchement, deux semaines de suite sans TLMEP, est-ce vraiment trop ? La semaine dernière, l’émission avait été annulée car le gala de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) était diffusé à la même heure. Ce n’est pas comme si on avait été surpris : la date du 3 novembre, ça fait des mois qu’elle est inscrite au calendrier de toutes les municipalités du Québec. Ça fait des mois qu’on sait que le 3 novembre, les électeurs iront voter. Et que le même soir, il y aura les résultats.
Au moins, on peut se consoler : à Radio-Canada, peu importe la plateforme de diffusion, la qualité des soirées électorales est toujours là.
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Ce dimanche soir, Denis Coderre a été élu maire de Montréal.
Des politiques pas très nettes, et une vingtaine de candidats repêchés d’Union Montréal. Des projets pas toujours très ambitieux (notamment dans les transports): peut-on dire que Denis Coderre est « l’homme fort » dont on parlait pour Montréal ?
Que retenir de ces élections ?
Ce n’est en aucun cas une victoire écrasante. En début de soirée on annonçait des résultats de l’ordre du 40–20-20 (Coderre-Joly-Bergeron); mais les résultats finaux sont serrés : 32% pour Coderre, 26% pour Joly, 25% pour Bergeron. L’équipe Coderre n’obtient pas la majorité à l’Hôtel de Ville (sur les 33 sièges qu’il lui fallait, il en a obtenu 27). Il devra donc travailler avec les autres partis, ou bien essayer d’attirer stratégiquement des candidats indépendants dans son camp.
Le taux de participation reste trop bas. 40%, un tout petit peu plus qu’il y a quatre ans (39% en 2009). Ce n’est donc pas la majorité des Montréalais qui s’est exprimée dimanche. Les élections municipales continuent de ne pas susciter un grand intérêt. C’est dommage, surtout que s’il y avait bien une année où il fallait aller voter, c’était cette année. Après avoir connu trois maires dans une période d’un an, Montréal était écœurée de la corruption. Mais trop peu sont allés en témoigner en mettant un bulletin dans l’urne. Cynisme ou désintérêt total ? Reste qu’on peut mieux faire.
Cette élection, c’est la victoire des opportunistes. Denis Coderre, ministre fédéral, politicien d’expérience, a sauté sur l’occasion en se présentant à ces élections municipales. Ça tombe bien : les gens le connaissent et il va vers les gens, c’est un bon communicateur. Coderre se voyait premier ministre du Canada. Finalement il sera maire de Montréal, ce qui n’est pas si mal. De l’autre côté on a une forme d’opportunisme plus nuancée : Mélanie Joly, jeune avocate, a décidé qu’elle aussi pouvait venir tenter sa chance à Montréal. Pour elle, ç’a été la grande victoire de la communication. Elle a su tirer profit de son image, de sa fraîcheur, de son équipe jeune et dynamique. Au final, alors qu’elle était inconnue il y a quelques mois, c’est un très bon résultat qu’elle obtient et dont elle peut se féliciter. On espère qu’elle continuera tout de même à travailler pour Montréal.
Marcel Côté est fatigué. Du moins c’est l’impression qu’on pouvait avoir en écoutant son discours dimanche soir. Il n’a pas fait un très bon début de campagne, s’est emmêlé les pinceaux avec les écoutes téléphoniques. Malgré tout, sa performance s’est grandement améliorée dans les deux dernières semaines. Mais peut-être que Marcel Côté n’était juste pas fait pour le jeu difficile de la politique.
Richard Bergeron, malgré trois défaites, trois fois troisième, reste optimiste. Il a prononcé un bon discours, enthousiaste, dimanche soir : Projet Montréal, avec ses 20 élus au conseil de ville, sera à nouveau l’opposition officielle à l’Hôtel de Ville. Le parti a peut-être parfois la tête dans les nuages et quelques positions « idéologiques » trop fermes (contre les voitures, par exemple). Mais c’est un parti solide qui, depuis sa création, travaille concrètement et avec intégrité pour Montréal, et propose des projets ambitieux, une vraie vision pour Montréal. À l’Hôtel de Ville, les conseillers apporteront leurs points de vue à la démocratie et à la diversité. Projet Montréal répondra encore présent pour la ville.