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Puissance de l’Autre

Chronique du temps qu’il fait

Toute histoire entendue est sujette à l’oubli. Certaines le sont bien entendu moins que d’autres. Aussi, dans un souci d’équité général, c’est à propos d’un livre méconnu que je voudrais m’entretenir brièvement avec toi, ami lecteur.
Il s’agit de Cabinet Bleu, roman de Samuel Biron, paru en 2011 aux Éditions Dubois (Belgique). Cet animal de livre, passé inaperçu dans les sphères médiatiques, raconte l’histoire d’un jeune diplomate se retrouvant bloqué dans les toilettes de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, en compagnie d’un vieil ambassadeur. Dédaignant avec brio le burlesque de la situation, Biron opte pour une approche pour le moins singulière. Les deux protagonistes, une fois coincés dans le fameux cabinet, se mettent à débattre et à partager leurs expériences respectives, chacun assis sur un siège de toilette.

C’est une sorte de joute oratoire à la manière du 18e siècle : les deux hommes, dont le métier est de convaincre et persuader, ne savent que trop bien se défendre l’un l’autre, habitués qu’ils sont aux « éléments de langage », ces discours réservés à la sphère diplomatique.

Le roman touche successivement différentes formes littéraires, on voudrait le voir tantôt comme un scénario de film, tantôt comme un poème. La force de Samuel Biron est d’avoir en fait écrit un livre qui ne repose que sur la rencontre entre deux archétypes – le jeune premier et l’ancien désabusé.

Cette rencontre, qui est presque un dialogue philosophique en somme, ne donne pas tant à lire sur les Nations Unies comme l’avait fait L’Homme à la colombe de Romain Gary mais plutôt sur les possibles qui se dégagent d’une situation où la confrontation est inévitable. En ce sens-là, Cabinet Bleu rappelle l’étrange situation dépeinte dans L’Odyssée de l’espèce, réalisé par Jacques Malaterre, où les premiers hommes se retrouvent coincés, eux aussi, mais dans un gigantesque bocal de verre, n’ayant aucune issue possible.

L’autre y est non seulement envisagé comme interlocuteur, valeur ou être, mais aussi et surtout comme puissance. En voici un court extrait : «‘‘Vous êtes une force capable de transformer l’état du monde, et par là même d’agir sur moi!’’ S’écria le diplomate. ‘‘Mais vous savez mon jeune ami, répondit l’ambassadeur, sur le plus beau trône du monde, on est jamais assis que sur son cul.’’» Ce passage pour le moins savoureux, me semble rendre justice au livre, lequel est d’ailleurs encore disponible dans toute bonne librairie.


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