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Une nouvelle éco-logique

En marge des mouvements écologistes actuels, le Dark Mountain Project propose de briser l’illusion de la civilisation.

L’écologie occupe une place grandissante dans notre société. Partout, il s’agit de sensibiliser les citoyens au développement durable. Ainsi, à McGill, les élèves sont encouragés à adopter un comportement éco-responsable. Par exemple, le Conseil Inter-Résidences (IRC) dispose d’un Vice-président à l’environnement, chargé des questions d’écologie pour les résidences et qui organise chaque année l’événement « Fight the Power », qui consiste à réduire au maximum la consommation d’énergie dans chaque résidence. La gagnante remporte un prix de 1000 dollars et des « infrastructures  vertes », comme des lampes à basse consommation.

De plus, chaque cafétéria sur le campus pratique le tri sélectif. McGill a également une politique environnementale qu’on peut consulter sur le site Internet de l’université. Celle-ci stipule que McGill doit par exemple « empêcher la surconsommation d’énergie et autres ressources, et réduire la production de déchets et l’émission de substance toxiques pour la biosphère ». L’Université a également signé deux conventions environnementales propres au milieu universitaire : la « déclaration de Talloires » et la « déclaration d’Halifax ».

 

Narrer les bonnes histoires

Cependant, ce type de politiques n’est pas soutenu par tout le monde. Ainsi, le  Dark Mountain Project s’oppose aux politiques environnementales traditionnelles, les jugeant inutiles et hypocrites. Il s’agit d’ un réseau d’écrivains, d’artistes et de penseurs « qui ont arrêté de croire aux histoires que notre civilisation se raconte. », lit-on dans leur manifeste publié en 2009.

À la genèse de cette prise de conscience on trouve deux hommes, Paul Kingsnorth, poète et ancien rédacteur en chef adjoint de la revue environnementale britannique The Ecologist, et Dougald Hine, un entrepreneur et ancien journaliste britannique.

Parmi ces « histoires » qu’on se raconte figurent celles des écologistes traditionnels, et ce pour deux raisons. Dans une entrevue donnée au quotidien britannique The Guardian, Kingsnorth explique que la première est l’échec de l’écologisme, qui n’a pas su empêcher ce qu’il appelle un « écocide » (génocide écologique). La seconde est que « les environnementalistes n’étaient pas honnêtes avec eux-mêmes ». En effet, selon Kingsnorth, ces derniers prétendaient qu’en continuant à militer, l’avenir, menacé de chaos par les activités humaines, deviendrait soudain plus beau, comme si « l’impossible pouvait arriver ». Ainsi l’action des activistes et partis écologistes est, selon lui, comparable à des soins « palliatifs », donnés trop tard : la Terre est condamnée dans notre modèle de civilisation, quoi qu’on fasse.

Kingsnorth explique ensuite que ce refus de faire face à la réalité, le fait de se cacher derrière des histoires, n’est pas qu’un problème lié à l’environnement, mais qu’il s’applique aussi à l’art. En effet la réponse à la destruction de la planète ne doit pas être seulement « politique, scientifique ou technologique, mais aussi culturelle », comme l’explique le site dark​-mountain​.net dans la section « Forum Aux Questions ». Ainsi le problème à l’origine de l’écocide actuel semble culturel : la civilisation s’est inventée une place à part, l’homme s’est séparé de la nature, dans une logique de progrès qui n’est en fait qu’anthropocentrique.

De son côté, Dougald Hine, en entretien avec Le Délit, ne voit pas son projet comme une initiative invitant activistes écologiques et autres à se ruer vers l’action mais au contraire à ne pas se précipiter. De plus, il ajoute que la plupart des gens impliqués dans le projet sont déjà engagés dans une forme d’action. Ce qui semble plus vital encore que le militantisme pur, selon lui, est avant tout de comprendre que la culture a ses propres impacts et conséquences.

Cette double prise de conscience a mené Kingsnorth  et Dougald Hine à écrire : Uncivilization : The Dark Mountain Manifesto (Décivilisation : Manifeste de la Montagne Noire, ndlr). Ce manifeste explique que les histoires religieuses, laïques, politiques et économiques qui façonnent notre civilisation sont présentes à chaque instant au travers des médias ; elles « façonnent notre capacité à naviguer dans la réalité » et sont, en fait, les différentes versions de la même grande histoire, qui veut perpétuer notre civilisation et continuer à transcender les barrières posées par la nature. Monsieur Hine définit le terme « décivilisation » répété plusieurs fois dans le document, comme étant bien plus un processus qu’un objectif. Le projet Dark Mountain veut créer de la place pour une culture « décivilisée » (« uncivilised »), qui cherche à combattre le solipsisme de l’être humain et le rendre conscient de sa place réelle sur cette Terre.

 

Déconstruire les mythes

Cet ouvrage, qui a rassemblé des milliers de personnes dans le monde entier, se fait la critique de la notion de progrès communément admise. Les auteurs refusent l’idée selon laquelle l’humanité tend vers le meilleur et qui définit l’avenir comme « une version améliorée du présent ». Ainsi l’idée sur laquelle se fonde ce mouvement est que la planète ne va pas mourir, mais notre civilisation oui. Selon Dougald Hine, la mission du Dark Mountain Project n’était pas de propager un ensemble de solutions, mais il avoue tout de même qu’un des points de départ de l’ouvrage a été de supposer que l’être humain devait être rendu conscient que l’histoire de son exceptionnalité était illusoire. Nous ne pourrons pas maintenir ce rythme de vie détaché de la nature, et rien ne changera cette course vers l’inéluctable. Pas même le commerce équitable ou le tri sélectif.

Il faut donc, selon les auteurs, redessiner notre vision de la société, et éradiquer son socle, qui est le mythe du progrès, reposant lui-même sur le mythe de la nature : « le premier nous dit que nous sommes destinés à l’excellence ; le second nous dit que cette excellence est gratuite. ». En effet nous sommes la première espèce à avoir dompté la nature, d’une certaine manière, en maîtrisant ses ressources et bâtissant nos villes. Les auteurs font également cet effarant constat : nous sommes la première espèce à être capable d’éliminer la vie sur Terre. Selon les auteurs, parler de progrès au vu des horreurs que notre civilisation a créées est une aberration : les guerres mondiales, les génocides, l’exploitation sans réserve de toutes les ressources naturelles disponibles sont là pour rappeler que le chemin que nous empruntons ne peut être le bon.

Cependant, pour Dougald Hine ce projet n’a rien d’utopique : il n’existe pas un idéal, précédant la civilisation, auquel nous pourrions retourner. Il s’agit tout d’abord de remarquer les solutions cachées dans la société dans laquelle nous avons évolué.

Des milliers de personnes partagent ces idées, et se regroupent sur des forums en ligne, mais aussi lors d’un festival annuel, le Dark Mountain Festival. Lorsque Monsieur Hine revient sur les débuts de son entreprise il explique que le point de départ a été tout simplement de créer une publication qui puisse abriter une future conversation sur le sujet. Il s’agissait de créer un espace de rencontre entre tous les différents acteurs afin de mener une réflexion collective. C‘est dans cet esprit-là que le festival annuel a pris forme. Le dernier a eu lieu dans un bois du Sud de l’Angleterre, et proposait des activités et des réflexions aux personnes conscientes que nous ne pouvons pas continuer à vivre et consommer au rythme actuel. D’ailleurs, il paraît que si nous vivions tous comme des Américains, il nous faudrait cinq planètes.

En réponse à une des questions du Délit, Dougald Hine a décrit le rôle du projet comme essayant d’identifier les aspects obscures de notre époque et de chercher d’autres possibilités au sein de cette obscurité. Selon lui, « si le rôle d’un prophète est de décrypter les signes d’une époque, que ceux qui ont intérêt a préserver le statu quo préfèrent ignorer, alors le rôle du projet Dark Mountain a, en effet, un côté prophétique ».

 

Phagocytés par la machine politique

Enfin, selon Monsieur Hine, le changement de mentalité dans notre société ne pourra pas se faire à travers les institutions politiques, parce que « lorsque les écologistes ont commencé à faire partie des grands courants politiques, ils se sont retrouvés de plus en plus à devoir justifier leurs arguments  en termes de raisonnements économiques appuyés par des preuves scientifiques ». Comme le disait précédemment Paul Kingsnorth, ils étaient imprégnés des fausses histoires structurant notre civilisation. Cela avait pour conséquence de devoir renoncer à l’argument de base du mouvement qui s’adresse aux racines sociales et culturelles de la destruction environnementale.

Aujourd’hui, comme le dit Dougald Hine, le mouvement écologiste se divise en deux mouvements distincts, les « néo-verts,» orientés sur une résolution technologique au problème, et qui sont obsédés par l’ingénierie géologique, et ceux qui ne sont pas prêts à suivre les néo-verts dans cette folie. Dougald Hine voit son projet Dark Mountain comme un moyen de créer de la place pour que les gens qui ne sont pas prêts à suivre les « néo-verts » puissent trouver d’autres approches qui aient un sens.

Le concept de décivilisation cherche à faire basculer notre vision de l’humanité, d’une perspective égocentrée vers une perspective écocentrée.


LES HUIT PRINCIPES DE LA DÉCIVILISATION :  (traduits par Le Délit)

1) Nous vivons à une époque d’effilochage social, économique et écologique. Tout autour de nous, il y a des signes montrant que notre mode de vie est déjà passé dans l’Histoire. Nous affronterons cette réalité honnêtement, et apprendrons à vivre avec.

2) Nous rejetons la croyance selon laquelle les crises convergentes de notre époque peuvent être réduites à un ensemble de « problèmes » nécessitant des « solutions » technologiques ou politiques.

3) Nous croyons que les racines de ces crises reposent dans les histoires que nous nous sommes racontées. Nous cherchons à contester ces histoires qui soutiennent noter civilisation : le mythe du progrès, le mythe du rôle central de l’Homme, et le mythe de notre séparation de la « nature ». Ces mythes sont plus dangereux du fait que nous avons oublié que ce sont des mythes.

4) Nous réaffirmerons le rôle de la narration comme allant au-delà du simple divertissement. C’est à travers les histoires que nous tissons la réalité.

5) Les humains ne sont pas la finalité de la planète. Notre art commencera par la tentative de sortir de la « bulle » humaine. Avec une attention toute particulière, nous nous impliquerons de nouveau dans le monde non-humain.

6) Nous célébrerons l’écriture et l’art qui sont ancrés dans la mesure du temps et de l’époque. Notre littérature a été dominée pendant trop longtemps par ceux qui habitent les citadelles cosmopolites.

7) Nous ne nous perdrons pas dans l’élaboration de théories ou d’idéologies. Nos mots seront fondamentaux, basés sur les éléments. Nous écrivons avec de la saleté sous nos ongles.

8) La fin du monde tel que nous le connaissons n’est pas la fin totale du monde. Ensemble, nous trouverons l’espoir au-delà de l’espoir, les chemins qui mènent au monde inconnu au-delà de nous-mêmes.


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