L’urbex, de l’anglais urban exploration (exploration urbaine), est une activité consistant à visiter des lieux abandonnés dans des paysages urbains. Depuis les années 1970, les explorateurs urbains agissent dans toute l’Amérique du Nord et l’Europe.
Toits, galeries de métro, usines, entrepôts, hôpitaux, catacombes et monuments historiques : les explorateurs ont le choix. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ces lieux ne sont pas aussi rares qu’il n’y paraît. Une petite recherche sur Internet peut révéler quantité de bâtiments désaffectés dans des endroits que nous côtoyons tous les jours, même au cœur des métropoles. Montréal foisonne de commerces, de locaux et d’entrepôts abandonnés, notamment dans les anciens quartiers industriels, comme Hochelaga par exemple.
Étant illicite, l’urbex se développe principalement dans l’anonymat des réseaux sociaux et de forums spécialisés sur Internet. Des banques de données répertorient les lieux. On y trouve aussi bon nombre de photos d’amateurs ou de professionnels et des récits d’exploration. Les accès sont souvent discrets et se transmettent grâce au seul bouche-à-oreille. Le réseau de l’urbex a donc une certaine organisation qui permet à ses membres de se rencontrer, tout en restant volontairement fermé au grand public. Les explorateurs organisent par ailleurs des événements de rencontre. Le principal rendez-vous canadien est l’OPEX, qui regroupe quelques dizaines de personnes venant des quatre coins du globe. Les réseaux français et australiens sont également très actifs. Le Délit a pu, par l’intermédiaire de ces réseaux, obtenir plus d’informations sur cette activité méconnue et surtout sur ses pratiquants.
Une pratique consciente
Les explorateurs urbains parcourent sans cesse de nouveaux lieux à la recherche d’ambiances particulières. Une bonne partie d’eutre eux pratique également la photographie. S’il existe une grande variété de profils d’explorateurs, la plupart sont motivés par la curiosité de telles découvertes, leur esthétique et l’adrénaline que procurent ces aventures. Beaucoup sont sensibles aux conséquences du temps sur ces lieux, leur transformation progressive. « Ils évoluent […], d’une part par l’érosion et la nature (les effondrements, la végétation qui envahit une pièce) et d’autre part (et surtout) par l’action humaine : squatteurs, artistes, vandales […] s’approprient naturellement ces lieux et peuvent y trouver une liberté de création ou d’action », explique Claire, exploratrice dans la région parisienne.
Toits, galeries de métro, usines, entrepôts, hôpitaux, catacombes et monuments historiques : les explorateurs ont le choix.
Certains soulignent également la dimension historique de l’urbex. Le fait qu’il s’agisse souvent de vieux châteaux ou de bâtiments industriels crée un prétexte pour redécouvrir le patrimoine culturel, s’interroger sur l’histoire des lieux, leur utilité et les personnes qui les ont traversés. « J’adore me demander ce qui s’est passé pour qu’une maison soit laissée à l’abandon, comment vivaient ces gens… etc. On a même parfois l’impression d’éprouver de la sympathie pour ces personnes que nous ne connaissons pas », souligne Lily Stoneheart, exploratrice en France et en Belgique.
Préserver le secret
Les explorateurs se positionnent plus comme des observateurs que comme des acteurs. La plupart craint que leurs endroits favoris soient détruits ou endommagés. Ils essayent le plus possible de préserver les lieux dans l’état où ils les ont trouvés. « Il y a des règles non-écrites que je respecte. Ne pas briser, ne rien voler, pas de graffs, surtout protéger les lieux des « faux-explorateurs ». Je ne donne mes spots qu’à ceux en qui j’ai confiance », rapporte Rdx-Foto, explorateur québécois.
Toutes les personnes interrogées pensent que l’urbex doit absolument rester dans l’ombre, voire qu’il s’agit d’une activité déjà trop connue. Une fréquentation plus importante accélérerait la dégradation des lieux qui leur sont chers et augmenterait donc leur dangerosité. « Plutôt que de rester magiques pendant cinq ans, [les lieux] sont défoncés au bout de six mois car le nombre de visites y est impressionnant et certains font n’importe quoi, laissent les entrées grandes ouvertes, […] se font prendre, ce qui veut dire que le spot finit sous alarme […]», proteste Lily.
Certains pointent le fait que, si l’urbex était démocratisée, son intérêt même s’éteindrait. Les lieux seraient plus faciles à trouver et l’exploration perdrait de son charme. « Lorsque l’on trouve un nouvel endroit, on aime bien le garder secret. Il y a un certain mérite », confie James, explorateur en région parisienne et en Angleterre.
« Il y a des règles non-écrites que je respecte. Ne pas briser, ne rien voler, pas de graffs ; surtout : protéger les lieux des faux-explorateurs ». – Rdx-Foto, explorateur québécois.
Les explorateurs se rejoignent aussi sur le caractère dangereux de l’urbex, ce qui justifie son illégalité. « Nous allons souvent dans des lieux désaffectés depuis quelques années. Les dangers : la moisissure, l’amiante (souvent présente dans les vieux bâtiments), les maladies reliées au système respiratoire […]. Souvent, ces endroits ont été [à moitié détruits], la charpente est plutôt chancelante, des grosses bouteilles de gaz [sont] souvent oubliées dans la rouille, bref, pleins de dangers nous menacent…» explique Rdx-Foto. D’autres ajoutent que l’on peut également croiser des individus potentiellement dangereux ou drogués, des squatteurs ou des voyous.
Jeunes délinquants ou aventuriers des temps modernes ? Les opinions sont assez mitigées parmi les explorateurs eux-mêmes. Certains évoquent les quelques fois où ils ont été pris en flagrant délit par des voisins méfiants, voire agressifs. D’autres ne comptent plus ceux qui renoncent à tenter l’expérience lorsqu’ils prennent conscience des dangers de l’activité. D’autres encore sont fascinés par les photographies leur présentant ces bâtiments à l’abandon comme des saints lieux de pèlerinage. L’imagerie populaire y est pour beaucoup.
Quoi qu’il en soit l’urbex ne laisse pas indifférent. Nous laisserons aux acteurs le soin de déterminer pourquoi ce passe-temps jouit d’une popularité exponentielle à cette période de l’histoire. Un moyen de s’évader dans une société où une jeunesse aventureuse peut se sentir paralysée par les normes et la routine quotidienne ? Un besoin de découvrir sans cesse alors que les cartes du monde sont déjà toutes tracées ? Un désir de liberté, de pouvoir vivre de nouvelles expériences ? Selon Rdx-Foto, « le monde est un terrain de jeu », tout simplement.