La nouvelle se tramait depuis plusieurs mois : la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ) n’aura finalement pas survécu au schisme provoqué par le débat sur la hausse des frais de scolarité. L’organisation sera dorénavant connue sous le nom de Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) et perdra entre autres sa fonction de représentation auprès du gouvernement.
Le vice-principal aux communications et aux relations externes de l’Université McGill, Olivier Marcil, confirme au Délit que l’administration est à l’aise avec ce changement : « McGill a participé avec les autres universités à sa transformation. Essentiellement, la CREPUQ perd sa fonction de lobby envers le gouvernement. Aussi, plusieurs groupes de travail permanents sont abolis et sa gouvernance est restructurée. McGill ne voit pas cela de manière négative. »
Au delà de la transformation de la mission de l’organisme, ce changement de nom traduit certainement une volonté de fonder l’avenir de la coopération interuniversitaire québécoise sur de nouvelles bases. En fait, à en croire l’article de La Presse publié sur le sujet le 10 janvier dernier, il s’agit surtout d’effacer des mémoires les douloureux débats internes sur le sujet des frais de scolarité.
Il faut savoir, à ce titre, que le conflit étudiant n’a pas semé la discorde qu’entre les étudiants. Il semble que les recteurs eux-mêmes aient eu beaucoup de mal à atteindre le consensus sur la question et que les prises de positions de la CREPUQ irritaient certains recteurs au plus haut point. Bien que tous défendaient l’idée d’une certaine hausse des frais de scolarité, l’animosité de l’administration mcgilloise et d’autres universités à charte privée à l’égard des compressions du gouvernement péquiste n’était pas forcément bien reçue par le réseau des universités du Québec.
Dans les faits, il semble que plusieurs universités – dont McGill – menaçaient depuis plusieurs mois de claquer la porte, à l’instar de l’Université Laval. En effet, cette dernière faisait cavalier seul depuis son retrait retentissant de la CREPUQ en avril 2013. Son recteur Denis Brière déplorait alors la perte d’autonomie des universités et l’incapacité de la CREPUQ de défendre les intérêts de l’Université Laval. M. Brière traçait aussi une ligne de démarcation entre les établissements publics et les universités à charte privée, qui suivent un système un peu différents, comme l’Université Laval et l’Université McGill, dont les aspirations et la mission diffèrent.
Tandis que les établissements du réseau des Universités du Québec (UQ) opèrent largement en région et attirent plutôt des étudiants de première génération, les universités à charte privée telles que McGill et l’Université Laval orientent davantage leurs activités vers l’excellence académique tout en cherchant à se maintenir dans le peloton de tête mondial au niveau de la recherche. Cette dernière ambition, bien que louable, est autrement plus onéreuse et force les universités à accroître constamment leurs revenus.
Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Eric Martin suit la situation de près et interprète ce nouveau développement comme un signal de plus de l’avancée de la « mentalité commerciale » chez les gestionnaires d’universités, qui sont de plus en plus conditionnés à produire des retombées économiques immédiates plutôt qu’à accorder au savoir et à la réflexion une valeur intrinsèque.
Interrogé par le Délit sur un potentiel amoindrissement du rapport de force entre l’Université McGill et le gouvernement en vertu du changement de vocation de la CREPUQ, Eric Martin ne se fait pas d’illusion : « Il n’y a pas de solidarité entre les universités. Elles ont intériorisé le jeu de la concurrence. Les grandes universités jouent du coude à l’international. Les petites universités sont reléguées au second plan. […] Les universités devraient développer un « rapport de force » contre ce conformisme, contre ce modèle et l’idéologie capitaliste qui les sous-tend. Mais ne retenez pas votre souffle. »