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Étourdissement poétique

Sylvie Drapeau, grand-mère, mère et fille dans Le Carrousel de Jennifer Tremblay.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Au cœur de l’Expo 67, il y avait un carrousel chantant. On imagine bien les enfants emplis de joie sur les grands chevaux, les éléphants tournants. C’est cette image forte de l’imaginaire collectif québécois que Jennifer Tremblay emprunte, lorsque Florence (Sylvie Drapeau), mère de famille, permet à ses enfants de monter et de remonter sur le carrousel. L’actrice, seule sur scène pendant une heure et cinq a le sourire aux lèvres lorsqu’elle récite ses souvenirs.

Elle joue tous les rôles Sylvie Drapeau, c’est la grand-mère, la mère, la fille. Tout repose sur ses épaules pour nous faire comprendre le changement de personnage. Elle se retourne : c’est la grand-mère. Elle crie, baisse les épaules : c’est les enfants. Elle change de ton : c’est la mère. La scène reflète la diversité des personnages. Une structure arrondie rappelant la forme d’un carrousel permet d’être en même temps la foire, le pensionnat, les champs québécois. Une grande toile en dentelle flotte sur la scène rappelant la légèreté de l’enfance.

Ainsi, une femme doit rejoindre sa mère mourante en passant par la route 138, pour se rendre à la Côte-Nord. Par son voyage sur les grandes routes du Québec, nous voyageons avec elle dans ses pensées. La quête de sa généalogie, la tentative de comprendre d’où proviennent ses frustrations.

Le Carrousel, c’est le passage de la mémoire à un monologue : un tourbillon d’images et d’idées qui s’entremêlent dans un même fil narratif.  On regrette de ne pas toujours tout pouvoir comprendre, mais c’est surtout la poésie qui reste à nos yeux. Les images sont fortes et l’on se reconnait aisément dans l’univers de Jennifer Tremblay. Un univers pas si éloigné : le Québec rural de maintenant, des années 1980, des années 1960.

On entend bien l’univers d’Anne Hébert en résonnance. Son poème Le Carrousel a été mis en exergue de la pièce. Comme chez Hébert, le monde de Tremblay est dur et violent. Si dur que dans la pièce, une petite fille est placée dans un pensionnat pour éviter l’abus de son père, mais finit attouchée par l’une des sœurs qui devait la protéger.

Le sentiment de lourdeur n’est toutefois pas ce qui reste en tête après la pièce. C’est plutôt l’amour, le sentiment de fraternité, les sourires des enfants qui restent. Et au cœur de tout : la relation mère fille. La pièce saisit de façon brillante ces relations qui nous poussent à crier : « Maman, part pas ».


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