En quoi une agriculture biologique à l’échelle mondiale serait-elle à la fois respectueuse de la nature et viable ?
L’agriculture biologique s’oppose à l’agriculture industrielle intensive dans le sens où elle exclut l’utilisation de produits chimiques, comme les engrais, les herbicides ou les pesticides. L’usage exagéré de ces derniers est connu pour être une véritable nuisance pour les sols et les nappes phréatiques et, de façon plus controversée, pour la santé des consommateurs.
Il existe toutefois très peu d’études sur ce sujet et hélas pas assez de chiffres à l’appui de cette affirmation. Les agriculteurs biologiques comptent sur d’autres méthodes, comme la rotation des cultures, les engrais naturels, et l’introduction de prédateurs d’un parasite, pour maintenir la productivité des sols.
On reproche souvent à cette forme d’agriculture de ne pas être capable de produire autant de nourriture à l’hectare. « Si tout le monde faisait du bio, il n’y aurait jamais suffisamment à manger pour tout le monde », entend-on. D’après l’article Can Organic Farming Feed Us All ? (L’agriculture biologique peut-elle tous nous nourrir?, ndlr) publié par l’institut américain World Watch en 2006, des études ont démontré que les faibles rendements expérimentés n’étaient dus qu’à l’endommagement des sols par l’agriculture intensive. Après une période de « réhabilitation » d’environ vingt ans, le monde pourrait largement produire assez de nourriture biologique pour tout le monde.
La distribution de cette nourriture est un autre enjeu. Navin Ramankutty, professeur au Département de géographie de l’Université McGill, est plus réservé à ce sujet. Pour lui, ce scénario n’est pas réaliste s’il n’est pas accompagné d’autres changements dans l’équation, comme la restructuration du système économique mondial ou encore la réduction de notre consommation de viande et du gâchis de nourriture.
Le vrai problème du « bio », à l’heure actuelle, c’est que personne n’en achète parce que c’est cher. Les produits issus de l’agriculture biologique peuvent coûter de 30% à 100% plus cher que leurs équivalents non biologiques… de la marque du distributeur. La différence avec les prix des grandes marques est cependant presque inexistante. À ceux qui s’offrent le luxe d’acheter autre chose que de la sous-marque : vous savez ce qu’il vous reste à faire !
Le docteur Ramankutty explique que, si les consommateurs occidentaux étaient sensibilisés aux bienfaits de l’agriculture biologique et que la demande augmentait, le prix du « bio » chuterait de lui-même. « Bien sûr, la nourriture biologique n’est pas une option pour les plus pauvres [et plus particulièrement les consommateurs des pays en développement]. Mais ne devrions-nous pas nous concentrer sur comment sortir les gens de la pauvreté plutôt que de rendre la nourriture moins chère ? », ajoute-t-il.
Enfin vient le danger des labels. Ici, je suis un grand sceptique. Ces étiquettes, atouts publicitaires colossaux, requièrent des critères bien différents d’un pays à un autre. La mention indique uniquement qu’une certaine proportion du produit est issue de l’agriculture biologique, ce qui pose un véritable problème pour les produits transformés. Si certains labels sont gérés par des agences nationales, nombreux sont ceux d’origine privée. D’autres, comme le label européen, tolèrent une certaine proportion d’organismes génétiquement modifiés (OGM). D’autres encore sont moins regardants quant aux produits importés de pays où les standards sont inférieurs. Enfin, les pesticides et engrais chimiques pulvérisés sur certaines semences ne sont pas vraiment du genre à s’arrêter à la frontière d’un champ bio.
Il nous reste beaucoup de progrès à faire quant à l’amélioration, la législation et la diffusion de la nourriture biologique avant qu’un monde « bio » cesse de n’être qu’une utopie. Le devenir de cet écosystème est de la responsabilité de chacun ; nous sommes tous des ambassadeurs de la race humaine.