Pour un metteur en scène, monter Hamlet est un défi. Je ne parle pas ici de la mise en scène en elle-même, mais de la confrontation aux attentes des spectateurs. Faisant partie des textes les plus joués de Shakespeare, la fameuse pièce de l’être ou du non-être a tendance à être considérée comme étant galvaudée.
Les 6, 7 et 8 février derniers au Collège International Marie de France et le 22 mars au Théâtre Rouge du Conservatoire de Montréal, ce défi est relevé par des étudiants plus motivés que jamais. Qualifié de « décapant, vif, éclectique et incisif » par le metteur en scène Julien Blais, cet Hamlet donne un tout nouveau sens au thème du paraître inhérent à la pièce en réservant bien des surprises au spectateur.
Avec une ouverture dynamique, voire agressive (les comédiens pointent de longues lattes de bois en direction des spectateurs), le public a à peine le temps d’être surpris qu’il est entraîné dans l’univers violent et sombre d’Hamlet. Cependant, présageant une atmosphère plutôt obscure sur le plan des costumes, le kaki terne des pantalons camouflage des compagnons d’Hamlet fait place à l’entrée fracassante de la Cour d’Elseneur, qui bouscule toutes les attentes. Véritable symphonie de paroles et de gestes, le monde frivole et égoïste de la cour s’oppose au caractère mélancolique et funeste d’Hamlet. Ce dernier est incompris dans une société obsédée par le pouvoir et la richesse, parfaitement illustrée par un Claudius millionnaire et égocentrique, une Gertrude potiche complètement manipulée par son mari, et un Polonius hyperactif et soumis à son souverain.
Exclu de cet univers rutilant, Hamlet se retrouve seul avec sa conscience comme unique compagne, personnifiée par deux jeunes femmes langoureuses et sadiques, qui le poussent à la violence et attisent son penchant vengeur. Le spectateur s’identifie facilement au personnage d’Hamlet interprété par Milan Tarapcik-Duchêne, qui parvient à interpréter le caractère changeant du prince danois d’une manière juste sans jamais tomber dans le mélodrame. Le spectateur se retrouve à son tour prisonnier de l’enfer cérébral dans lequel est enfermé Hamlet, notamment par l’effet d’écho sonore qui répète en decrescendo la fin des répliques du spectre et de celles des amis d’Hamlet. Toutefois, l’écho tend parfois à entraver la compréhension, quand plusieurs personnages parlent en même temps.
Les tableaux s’enchaînent les uns après les autres sans aucun temps mort, malgré la longueur de la pièce. L’énergie est présente tout au long du spectacle et l’intensité des émotions atteint son paroxysme dans les scènes finales. La douleur d’Horatio à la mort de son meilleur ami est toute en retenue, mais sur la joue de Delphine Cloarec qui incarne le personnage coule une vraie larme. On ne peut s’empêcher d’avoir des frissons lorsqu’on entend ce mélange de douleur et de rage dans la voix de Naomi Jouan (Laërte) qui appelle Hamlet à se battre.
Hamlet est une histoire d’effondrement ; l’effondrement d’un homme face aux événements qu’il vit, mais aussi celui du royaume du Danemark, qui finit par se rendre à un prince étranger. Le décor simple illustre cette idée de destruction et de décomposition. Les personnages utilisent à plusieurs reprises de longues lattes de bois accrochées de chaque côté de la scène sur des poteaux, et qui servent à la fois d’épées ou de murs. Ces malheureux sont continuellement en train de décrocher et de raccrocher les lattes, dans l’espoir de reconstruire un royaume qui tombe en ruines petit à petit. Les deux tonneaux en plastique placés en avant-scène servent non seulement de promontoire pour les femmes-conscience d’Hamlet, mais soulignent également la pourriture du royaume et des individus qui le composent.
Malgré ses thèmes sordides, Hamlet est un texte « hors-norme et hors-temps » selon les mots de Julien Blais, et qui continue de résonner à travers des personnages qui ne sont, au fond, pas si différents de nous.