L’Ensemble Transmission –soit « six artistes, musiciens, penseurs et producteurs indépendants : Guy Pelletier, flûte ; Lori Freedman, clarinette ; Alain Giguère, violon ; Julie Trudeau, violoncelle ; Julien Grégoire, percussion ; Brigitte Poulin, piano»– débute sa tournée de l’Ouest canadien en six représentations, intitulée Western Transmission, à Montréal. Certes, une tournée de l’Ouest canadien qui débute à Montréal, ce n’est pas ce qu’il y a de plus convenu.
Il importe peu qu’ils aient réellement présenté un « avant-goût » finement concocté, comme l’explique leur programme, ou qu’ils aient simplement souhaité roder un programme exigeant en contexte familier avant d’aller fouler les prestigieuses planches du Banff Center for the Arts. Ce qui se dégage de la prestation intime à la salle Tanna Schulich le 12 février dernier, c’est une telle maîtrise des langages musicaux propres aux compositions interprétées que les musiciens pouvaient se permettre de verser dans la complicité, soulignée par les nombreux regards et sourires échangés.
Pour le public, une telle liaison immuable chez un ensemble de musiciens, une telle « quadrature » –un terme qu’un ancien professeur empruntait à l’horlogerie– donne l’impression d’être en présence d’une terrible et unie forme vivante à six têtes et douze mains.
La cohésion est renforcée d’une part par l’absence volontaire de chef pour diriger l’ensemble –et donc l’obligeance d’une écoute commune accrue. D’autre part, l’ensemble prime un travail étroit entre compositeurs et musiciens pour toute pièce entreprise. D’ailleurs, c’est une composition de la clarinettiste de l’ensemble, Reimsix (2011), qui ouvre le bal.
Un point fort parmi d’autres : la seconde pièce, Erschütterung (2013), commandée par l’Ensemble au compositeur ouest-canadien Laurie Radford. L’idée d’une ligne mélodique et dynamique suivie y est décomposée et relayée par l’ensemble des instruments ce, avec une vivacité effarante. Le titre allemand fait référence à une convulsion, un choc ou une vibration, comme celle que dit ressentir lui-même le compositeur devant « la vibration de l’existence ». Impossible de ne pas entendre là des réminiscences des « cordes vibrantes » du Rêve de d’Alembert, qui assimilent les « fibres sensibles » du cerveau humain à celles d’un clavecin :
« La corde vibrante, sensible, oscille, résonne longtemps encore après qu’on l’a pincée. C’est cette oscillation, cette espèce de résonance nécessaire qui tient l’objet présent, tandis que l’entendement s’occupe de la qualité qui lui convient. Mais les cordes vibrantes ont encore une autre propriété, c’est d’en faire frémir d’autres ; et c’est ainsi qu’une première idée en rappelle une seconde ; ces deux-là une troisième ; toutes les trois une quatrième, et ainsi de suite, sans qu’on puisse fixer la limite des idées réveillées, enchaînées, du philosophe qui médite ou qui s’écoute dans le silence et l’obscurité. »
Pour inverser l’analogie, le jeu de l’Ensemble Transmission, quant à lui, est d’une telle fusion quasi-organique qu’en l’écoutant, on croit assister à la manifestation sonore du fonctionnement synaptique d’un esprit agile. Les neurones que sont les musiciens échangent avec une énergie que Laurie Radford qualifiera d’impressionnante. « C’est très gratifiant pour un compositeur », rajoute-t-il au Délit.
D’autres pièces comme les Feuilles à travers les cloches (1998) de Tristan Murail, ancien élève de Messiaen et compositeur consacré de « musique spectrale », font briller l’Ensemble par un déploiement de leur unicité dans la nuance et un travail du timbre attentif. Leurs interprétations délectent l’oreille par leur approche sensible et intelligente d’œuvres d’un haut degré d’abstraction. Du reste, outre l’évidente part de haute-voltige intellectuelle, ils amènent à leur musique un plaisir indéniable, indéfectible. Diderot n’aurait pas su résister.