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Déforme électorale

Les conservateurs n’ont jamais été reconnus pour leurs grands principes de démocratie. Du scandale des appels automatisés à celui qui sévit présentement au Sénat, en passant par les affaires Del Mastro et Penashue et le dossier des prisonniers afghans, la loi sur l’intégrité des élections n’est qu’un sombre ajout à la longue liste d’irrégularités crasses et d’irrespects idéologiques caractéristiques du gouvernement.

Le projet de loi C‑23, ou « Loi sur l’intégrité des élections », n’est ni plus, ni moins qu’une attaque frontale à notre système électoral. Il affectera parmi les groupes les plus à même d’être exclus d’une participation active et régulière à l’exercice électoral : les jeunes, les aînés et les autochtones. Bizarrement trois groupes qui ne forment pas traditionnellement une grande part de la base conservatrice. La loi prévoit en effet d’éliminer la possibilité de s’identifier au bureau de vote avec sa carte d’électeur ou qu’une tierce personne puisse répondre, ce qui complique les choses pour les étudiants sur leur campus universitaire, pour les personnes âgées vivant en résidence ou pour les autochtones sur une réserve.

Le ministre d’État Poilièvre a tenté de justifier son projet de loi en effectuant un rapprochement entre ces méthodes d’identification et la fraude électorale. Or, aucune donnée, pas même dans le rapport Neufeld cité par le gouvernement, ne permet de confirmer ce rapprochement. Pourtant, plus de 100 000 électeurs, selon les premières estimations de Marc Mayrand, le directeur général des élections (DGE), pourraient être directement touchés par les changements idéologiques à la loi électorale voulus par les conservateurs.

Qui plus est, et de manière encore plus douteuse, le gouvernement retirera à Élections Canada non seulement le mandat, mais aussi le droit de faire des campagnes de sensibilisation à l’exercice du droit de vote, pour la simple et très mauvaise raison que de telles campagnes sont inefficaces. Raison de plus pourtant, au (gros bon) sens de plusieurs, de donner au DGE plus de pouvoirs, de moyens, de ressources, au lieu de le cloîtrer dans un rôle abrutissant de simple administrateur électoral.

En présentant le projet de loi C‑23, le gouvernement va à l’encontre d’un courant observable dans plusieurs pays de l’OCDE. En Australie, en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne et même aux États-Unis, on cherche à étendre l’universalité réelle du droit de vote ainsi qu’à améliorer sa praticabilité. Le vote électronique et par Internet sont des avenues considérées, voire déjà empruntées par certains de ces pays. Or, la « Loi sur l’intégrité des élections » réduira considérablement la latitude qu’aura Élections Canada pour aller de l’avant avec des projets pilotes en ce sens. En effet, toute implantation du vote électronique devra recevoir au préalable l’accord du Parlement (dont, belle ironie s’il en est une, le Sénat, qui restera à majorité conservatrice même au-delà de 2015).

Remarquons ici qu’un haut taux de participation n’a jamais particulièrement avantagé les conservateurs, qui se sont fait élire en 2011 par moins de 25% des Canadiens et Canadiennes (environ 40% des voies pour un taux de participation de 60%). Pas étonnant, donc, de les voir fermer la porte sur des projets comme le vote électronique ou par Internet qui pourraient inciter plus d’électeurs (comme par exemple les 18–34 ans, de plus en plus et de mieux en mieux branchés) à exercer leur droit.

Inutile de dire qu’on ne devrait pas badiner avec les élections. Quoi de plus fondamental, en effet, à notre démocratie ? Parcimonie, large consensus et prudence sont de mise lorsqu’on entreprend de les réformer. Or, voilà bien l’exact contraire de la façon de faire du gouvernement dans ce dossier. Lu pour une première fois en chambre le 4 février, puis envoyé –sous bâillon, faut-il le préciser–  en comité le 10, le document de 250 pages de jargon juridique ne fera pas l’objet de l’examen minutieux qui lui est dû. Le ministre veut son adoption au plus tard le 1er mai, moins de trois mois après son dépôt initial. C’est dire tout le cynisme habitant ce gouvernement de coulisses : il sait que ce projet de loi est, comme bien d’autres de son cru, une insulte à notre démocratie et espère s’en tirer en forçant son adoption le plus rapidement possible afin de ne pas attirer l’œil inquisiteur de l’électorat. Lui donnerons-nous tort ?


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