On connaît Justin Bieber, Lady Gaga, Madonna ; mais connaît-on Brahms, Chostakovitch, Haydn ? Il y a là sans doute le grand combat que mène la musique classique à notre époque : rejoindre un plus vaste public. Le nombre de fins mélomanes s’amenuise, et les apôtres de la tradition classique se désespèrent qu’on puisse se soucier de Bach comme de cotampon. Mais la musique classique n’est pas toujours facile d’accès. Écouter une symphonie de Tchaïkovski demande un peu plus d’attention qu’une chanson de Beyoncé.
C’est dans l’espoir de réconcilier le grand public avec la musique classique que l’Orchestre symphonique de Chicago a créé la formule « Beyond the Score » en 2005. Il s’agit de mettre en contexte une grande œuvre du répertoire classique, en montant un spectacle où des comédiens jouent des textes, accompagnés ponctuellement par l’orchestre, pendant que défilent des images et des informations historiques sur un grand écran. On cherche ainsi à reconstruire l’univers du compositeur et les circonstances qui ont mené à la création de sa pièce. La seconde partie consiste en l’exécution de l’œuvre. Cette formule a été reprise par l’OSM, le mercredi 19 février, avec la cinquième symphonie de Beethoven. L’événement portait le nom : « La Cinquième symphonie de Beethoven : le destin frappe à la porte ».
En entrant dans la salle de concert, on peut voir sur l’écran géant un énorme masque de Beethoven. Au centre de la scène se trouve l’orchestre, devant lequel étaient disposé des éléments de décor relativement simples. Un piano à queue, un vieux coffre en bois couvert de papier à musique et un petit bureau en désordre figurent dans l’appartement du maître viennois. Quatre comédiens assurent la « présentation dramatique de l’œuvre » : un seul est costumé, qui incarne Beethoven, les autres sont vêtus de noir. Ceux-ci changent souvent de rôles, jouant des spectateurs assistant à un concert du maître, des intellectuels conversant dans un café, des personnalités connues de l’époque, etc. Pour un instant, l’écrivain romantique Hoffmann reprend vie et encense la cinquième symphonie. Plus tard, quelques admirateurs rendent visite au compositeur dans son humble appartement de Vienne. Dans cette première partie, l’orchestre joue brièvement entre chacune des scènes, accompagnant le texte et les images projetées à l’écran. Sans doute cette présentation théâtrale est-elle divertissante, et les comédiens talentueux, mais il faut admettre que c’est trop long, beaucoup trop long. Pendant plus d’une heure les comédiens font languir les spectateurs. Une présentation plus courte, limitée à l’essentiel, d’une demi-heure tout au plus, aurait suffi. Il nous apparaît que plus d’informations relatives au style du compositeur, au contexte d’émergence de l’œuvre, à ses apports et à son importance pour la musique occidentale auraient mieux servi les fins de l’exercice que les nombreuses anecdotes qui le composaient. Que le thème principal de la symphonie ait été inspiré par le gazouillement d’un oiseau jaune nous semble importer peu.
La seconde partie, le concert proprement dit, a pu faire oublier les désagréments causés par une trop longue première partie. Si Nathan Brock, le chef d’orchestre, a offert un premier mouvement qui nous a paru manquer un peu de relief, les deuxième et troisième mouvements ont été magnifiquement interprétés.
Quelle fortune peut espérer recevoir la formule « Beyond the Score » de l’orchestre de Chicago ? Certes l’idée est bonne, mais il faut voir à bien doser les parties : plus d’une heure de présentation théâtrale pour une œuvre qui dure moins de 35 minutes, c’est lasser la patience de l’auditeur.