Analyse de bribes d’informations prises par-ci par-là à McGill, dans des cours, dans des conversations, de gens cultivés et brillants, professeurs, fascinés par la chose intellectuelle.
Quand je lis un roman, j’ai l’impression d’accomplir une bonne action, un peu comme quand j’aide une mamie à traverser la rue. J’ai l’impression de faire quelque chose qui me dépasse et qui donc me grandit. Souvent, après une séance de lecture personnelle (entre 30 et 60 pages), je me sens vraiment bien, alerte. Je sais que je viens de faire travailler mon cerveau, et que c’est bien. Je crois que c’est pour ça que j’ai décidé d’étudier la littérature, pour me sentir bien dans mes études.
Je ne me sens décidément pas bien.
Récemment dans un cours que je ne nommerai pas, l’enseignante annonça qu’elle allait nous faire voir un extrait de L’Idiot situé tardivement dans le roman mais que ce n’était pas grave pour ceux qui ne l’avaient pas lu, car, évidemment, on ne lit pas Dostoïevski pour l’histoire ! Nous reçûmes cette exclamation, dite comme une vérité générale, par un rire narquois et approbateur, nos yeux pétillaient de fierté. Pauvre lecteur qui n’a rien compris ! J’étais bien heureux d’avoir eu la flemme de lire avant ce cours, j’aurais perdu mon temps. Ça tombe bien, la première phrase du syllabus du cours est que « l’on ne peut pas assimiler la littérature de manière passive ».
On ne peut pas assimiler la littérature de manière passive. Ça me rappelle quelque chose. Oui, l’enseignement de la littérature. Pourtant, annoncer d’entrée que l’on ne « peut pas », c’est un peu se justifier avant même d’avoir commencé, comme quand on débute une phrase par « franchement », ce qui suit va être nécessairement problématique. Il faut donc justifier l’enseignement de la littérature ? Allons‑y !
D’abord, quelle différence y‑a-t-il entre la littérature, les sciences politiques, l’histoire et le reste de ce que l’on appelle les « sciences humaines », du coup ? Si tout ce que l’on fait c’est étudier des textes parce qu’on est incapable de comprendre quoi que ce soit par soi-même, c’est tout mettre sur le même niveau. On renforce ses capacités d’analyse, qu’on lise Hobbes ou Tolstoï.
Tout de même, à la base, la lecture d’un roman ou d’un traité philosophique ne se fait pas de la même façon. Il y a l’engagement du lecteur, qui se met instinctivement dans la peau du personnage qui parle.
Platon (philosophe), qui mettait en scène sa philosophie en dialogues (littérature), l’avait bien compris. Malheureusement au bout d’une dizaine de dialogues avec toujours le même héros qui en plus on le sait bien, va mourir à la fin, ce n’était pas très engageant. Et puis il avait toujours raison Socrate, pas trop moyen de s’identifier à lui, même quand il perd son procès, on a plus l’impression que c’est Athènes qui perd qu’autre chose. On sent que pour Platon c’était un sacrifice trop dur de faire de la littérature pour nous faire bouffer de la philosophie.
Pourtant, trêve de plaisanteries, il y a une part de vérité quand on entend que l’histoire d’un roman n’est pas nécessairement ce qu’il y a d’important : tout le monde connaissait la fin du Nouveau Testament et pourtant sa lecture a toujours déclenché pas mal de passions. Je sais ce que le critique va me répondre : on peut mettre ça sur le dos de l’absence de choix de lecture à l’époque. L’analogie marche aussi avec la remarque sur la passivité : les gens se ruaient à l’église pour qu’on leur explique le bouquin, un peu comme nous qui allons étudier à l’université. Hélas, même à cela on peut argumenter qu’ils ne savaient pas lire alors il fallait bien qu’on leur explique le bouquin. Ensuite c’est devenu une tradition alors on n’allait quand même pas changer la formule sous prétexte qu’on pouvait tous lire la Bible chez soi bien au chaud. Finalement, on va surtout à l’église plus pour le côté social de rencontrer des gens qui partagent la même passion, unis dans l’amour du Christ (ou juste pour se mettre à genoux).
Étudier la littérature est nécessairement problématique car on doit se taper sermon sur sermon pour profiter de ce qui compte vraiment : rencontrer des gens qui comme nous aiment la littérature et donc nous ressemblent. Et si pour cela on doit lire Vies Minuscules et nous faire dire que telle phrase est « si belle » et telle tournure « si bien trouvée », eh bien taisons-nous, et gardons nos réflexions sur Michon pour la pause après le cours. Et puis si à la fin de mes études je n’ai pas de travail, j’aurai peut-être au moins trouvé un compagnon de route.
Je suis célibataire, à la recherche d’amis, et joignable au 438–929-8982. Merci.