Comment faire du rock en 2014 ? Alex Turner croit qu’il n’y a pas trente-six façons, la sienne est la suivante : quand il récupère un prix à la Cérémonie des BRIT Awards, le chanteur des Arctic Monkeys fait l’éloge de l’astre volage qu’est le rock’n’roll avec l’insolence due à son rang et finit par briser son micro dans le délire général. C’est une question d’attitude.
De l’attitude ? De l’allure plutôt. Enfin peu importe, le 28 février dernier, quand les Frisky Kids sont finalement montés sur la scène de la Casa del Popolo, c’est de cette attitude ou de cette allure-là dont on souhaite parler. Mais avant cela il nous faut revenir au début du concert. Saluer la prestation du premier groupe, Myles From Home et les cheveux longs de son chanteur – car il faut le souligner, durant leur passage rien ne bouge dans la salle mis à part ses cheveux. La connexion entre les membres du groupe laisse en effet à désirer : peu de regards complices, un mur entre la scène et le public, l’énergie du chanteur ne peut décidemment compenser le morne des autres musiciens, pourtant qualifiés. Est-ce la faute au style entrepris ? (Du folk entre Glen Hansard et Mumford and sons). Quoi qu’il en soit, une séance de teambuilding s’impose !
Le second groupe à monter sur scène, Apache Kingdom, fait preuve d’une cohérence déjà bien plus visible, celle du style vestimentaire. Cela ne fait pas un pli : la coupe « Mile End », des barbes faussement mal taillées et des lunettes de circonstance, sans oublier les chemises en jean et des pantalons certainement un peu serrés. Ajoutez à cela que les deux chanteurs/guitaristes se ressemblent comme deux gouttes d’eau, le tableau est parfait ! Cela n’empêche, les deux telecasters sonnent admirablement et l’on reconnaît bien vite que les phrases musicales sont construites et réfléchies, un peu comme celles que l’on peut trouver chez Phoenix et consort. Le groupe va même pousser le côté branché jusqu’à utiliser un vocodeur « Korg », afin de modéliser avec style ses fins de morceaux. On pourrait arguer que tout cela manque d’âme, cela ne manque néanmoins pas d’unité si on les compare à leurs prédécesseurs !
Qu’on cesse de s’impatienter, l’âme est en route, et rien ne saurait l’arrêter. Les Frisky Kids montent en effet sur scène, sous les applaudissements nourris des connaisseurs et les regards curieux des novices. Et il y a de quoi susciter de la curiosité ! Figurez-vous trois hommes en noir, la dégaine des Blues Brothers, les mélodies quelque peu naïves des Beatles et l’énergie que peuvent avoir à revendre trois musiciens venus à Montréal dans l’unique but de « faire de la musique », vous avez les Frisky Kids : Matisse Gill, Cal Um, et Alexandre Parmentier. En fait, c’est peu dire que leur démarche est curieuse, elle est surprenante, frappante, ahurissante. Cognitivement, trois bonhommes habillés en chemise-cravate-veston noir et blanc venant chanter du rock, aujourd’hui, c’est impensable. Pour les novices dans la salle, c’est donc ce qu’on appelle communément une agréable surprise.
Après des présentations rapides, le trio débute sa performance sur le titre « Metro Romance ». C’est un spectacle très prenant, et la Casa del Popolo se réchauffe rapidement sous l’effet des pieds et des mains du public. Les Frisky Kids délivrent des paroles badines entonnées avec entrain, à une, deux et parfois trois voix, quand ce n’est pas toute la foule qui les reprend. Les titres se suivent et ne se ressemblent pas, chacun d’eux valant néanmoins aux interprètes des grimaces et des transes tout à fait à propos. Si le bassiste et chanteur Matisse possède lui aussi des lunettes de circonstance, celles-ci volent bien vite à terre tant il est surexcité quand il joue. « All the girls » déclenche l’action. La toute nouvelle « On my way » sert, entre autres, de plat de résistance, et la singulière « Rooftops » clôt les festivités. L’allure dont on a pu parler plus haut se retrouve enfin, l’âme, l’énergie, la cohérence, tout est là ! Les Frisky Kids délivrent un véritable concert de rock, dans lequel on se sent happé, un de ces concerts où l’on commence par gentiment dodeliner de la tête en rythme et où l’on finit – sans s’en être aperçu – par danser comme le dernier des zigotos au milieu de la foule.
Écumant la scène montréalaise depuis un peu plus d’un an, les Frisky Kids sont devenus des musiciens aguerris qui délivrent des prestations plutôt impeccables, et cela même s’il ont changé à l’instant de batteur, remplaçant le talentueux Matt Grant pour le non moins talentueux Alexandre Parmentier. Aussi, à l’instar de la foule à la fin du concert, criant « Frisky ! Frisky ! Frisky ! » pour déclencher le fameux bis, nous n’en demandons que d’avantage du talentueux trio.
Cela tombe bien, ils ont déjà annoncé leur prochaine date de concert, ce sera le vendredi 2 mai au BarFly sur St Laurent. En attendant cette période lointaine qu’aucun d’entre nous n’est certain d’atteindre sain et sauf, on vous recommande chaudement d’écouter le rock’n’roll de ces messieurs là.
« Yeah that rock’n’roll… It seems like it’s fading away sometimes… but it will never die. And there’s nothing you can do about it. »
« Ouais ce rock’n’roll… on a l’impression qu’il disparaît de nos jours… mais il ne mourra jamais. Et vous ne pouvez rien y faire. » (Traduction libre, ndlr)
(Alex Turner, Cérémonie des BRIT Awards 2014)