Après avoir vu Hôtel des deux mondes qui a dû en convertir plus d’un à la foi, lu Oscar et la dame rose qui m’a fait revisiter toute ma vision de la vie et de la fragilité, et voyagé à travers les âge et les nuances de la féminité en lisant La femme au miroir, je n’ai pas hésité à débourser 33 pièces pour poser avec satisfaction le dernier pavé d’Eric Emanuel Schmitt sur ma table de chevet.
Seulement voilà, je suis déçue.
Schmitt nous invite dans l’intimité d’une dizaine de couples et célibataires, tous riverains de la place d’Arezzo, une place de Bruxelles envahie par la présence incongrue de perroquets et de perruches ; un microcosme où le lecteur est installé comme au théâtre.
C’est alors qu’un petit élément agitateur entre en jeu. Un infime imprévu, pas plus gros qu’un bout de papier, littéralement. Un mot d’amour anonyme : « Ce mot pour te signaler que je t’aime. Signé : tu sais qui. » Tous les foyers en reçoivent une copie, et voilà que les quotidiens sont bouleversés. Mais qui est donc ce « tu sais qui » ? L’un a peur d’être aimé et veut déménager, l’autre a peur que son mari l’ait lu et découvre sa liaison. Un autre suppose automatiquement que le mot vient de sa mère, ayant tellement peu confiance en son pouvoir de séduction, et un dernier, pensant qu’il vient de son amour interdit, court sonner à sa porte. Chacun interprétant le message à sa façon, et y répondant selon sa capacité à aimer et se laisser aimer.
C’est ainsi que l’auteur nous fait un inventaire de toutes les relations de couple et préférences sexuelles jamais connues. Une encyclopédie un tantinet érotique et sans préambule. Voilà donc que François-Maxime de Couvigny, bon père de famille catholique, tout à fait propre sur lui et très calme au foyer, s’en va en forêt pour aller donner une branlette à un jeune inconnu, puis rentrer tranquillement chez lui expliquer à son fils – qui lui demande pourquoi on traite un de ses camarades de « pédé » – que c’est parce que « ces pauvres gens ne sont pas normaux ». Un autre, Zachary Biderman, fait venir des putes de luxe dans son bureau pour décompresser, en les faisant passer pour des représentantes d’organismes de charité. Et Hyppolyte, le jardiner beau comme un dieu, n’a malheureusement d’yeux que pour une femme disgracieuse.
Pour finir, aucun des couples ne colle vraiment bien, et toutes les amours sont insatisfaisantes. Je ne retrouve plus l’espoir vibrant qui habite normalement les personnages de Schmitt, je ne me sens plus aussi bousculée dans mes a priori. Et pourtant je continue à lire jusqu’à ce que mes yeux soient secs. Et si j’étais simplement gênée et désillusionnée par la réalité des couples du roman ? Et si ma tolérance était trop limitée ? Ah, il est fort ce Schmitt.