Le week-end dernier, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, on m’a demandé de quelle manière j’intégrais mes convictions féministes à mon travail, à mes études, à mes projets en général. J’ai réalisé qu’avant toute chose, c’est dans la quotidienneté que se manifestent le plus mes efforts féministes. Terrain, il faut l’avouer, où le sexisme est particulièrement difficile à combattre du fait qu’on le remarque trop peu. Pourtant, rien ne justifie qu’on baisse la garde, même dans l’intimité.
Pour tout dire, j’ai souvent l’impression que c’est à travers les rapports informels et personnels qu’on observe le sexisme enraciné le plus profondément. Celui qui se manifeste lorsque, entre amis, entre collègues ou même entre amoureux, on passe du bon temps et que les langues se délient. Que la vigilance baisse d’un cran. Lorsque pour un instant, plus rien n’est politique – voudrait-on croire.
Lorsqu’on soupe entre amis et que les filles finissent – pour une raison obscure, à se sentir plus concernées par la vaisselle et le service que les convives masculins, et que personne ne le souligne. Lorsqu’au restaurant, on apporte systématiquement l’addition à Monsieur. Je m’amuse de l’air gêné du serveur lorsque je vais régler, mais au fond c’est lassant.
Lorsqu’avant d’aller à la piscine, mine de rien, je prends cinq minutes de plus sous la douche pour me raser les jambes –question d’hygiène. Je me demande d’où est venue cette idée que, s’épiler les poils des tibias, c’était plus hygiénique. C’est absurde. Mais c’est ce qu’on nous dit. Allez savoir. Mais reste que la peur de passer pour « malpropre » l’emporte, bien souvent.
Lorsque je me perds sur un chemin que j’emprunte pour la cinquième fois et qu’on me gratifie d’un « haha, t’es tellement une fille»…
« Ce n’est pas grave », qu’on se dit souvent. Histoire de s’exonérer de la responsabilité de résister, même dans les petits gestes du quotidien, à la pression genrée qu’on trouve partout. Ce n’est pas grave, qu’on se dit, puis pas un mot. Faut pas « faire chier », faut pas gâcher l’ambiance.
En effet, ce n’est pas « grave ». Sauf que se taire, c’est faire un choix ; et c’est faire un choix bel et bien politique. Ça, il ne faut pas l’oublier. La résistance féministe, lorsqu’on s’y met, doit être immanente. Elle s’exerce sur tous les fronts, sous la couette comme au travail ou dans l’espace public. Et si on est tenté de croire la sphère privée apolitique, n’oublions pas que cette dépolitisation ne sert certainement pas les femmes, mais le statu quo. C’est pourquoi les choix, même anodins, comptent. Se taire, ou « obéir », ou « faire comme tout le monde », c’est rajouter chaque fois un petit caillou du côté statu quo de la balance.
Alors lorsqu’on me demande comment j’intègre le féminisme à mon travail, à mes rapports interpersonnels, à ma sexualité ; bref à ma vie en général, je dis souvent que c’est avant tout en osant dire le sexisme. En disant « non », et « je m’en fous » de ce qu’on « attend » de moi et ma féminité. Je n’ai rien à prouver, avec ma féminité. Je ne devrais pas avoir quoi que ce soit à prouver.
Il faut également résister à la tentation d’«euphémiser » son féminisme, lorsque le contexte y semble hostile. S’il faut oser dire le sexisme, il faut également oser dire le féminisme.
Je ne suis pas « humaniste », pas « pour l’égalité », pas « féministe mais pas frustrée » – juste féministe. Souvent frustrée, d’ailleurs. Mais, surtout, avec plein de petits cailloux dans mon sac à dos, prête à les ajouter un par un à notre côté de la balance.