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Un ballet urbain éloquent

Kyle Abraham met en mouvement la jeunesse afro-américaine avec précision.

Steven Schreiber

Connaissez-vous la réalité des quartiers afro-américains de Pittsburgh, ou encore de New York ? C’est une réalité trop souvent éclipsée par les médias de masses, bien qu’elle englobe une bonne part de la population nord-américaine. C’en est une qui, au tournant des années 1960, a été durement frappée par les phénomènes de gangs, par la pauvreté, le trafic de drogues et le sida. C’est dans cette réalité qu’a grandit le jeune chorégraphe et danseur Kyle Abraham et c’est précisément celle-ci qu’il a voulu reproduire à travers la dernière œuvre de sa compagnie Abraham.in.motion, Pavement.

S’inspirant de deux œuvres majeures de la culture afro-américaine du dernier siècle, le film Boyz N The Hood de John Singleton et le livre de W.E.B. Du Bois The Souls of the Black Folks, Pavement cherche à dresser une chronologie de la culture noire moderne. Abraham puise par ailleurs dans son éducation musicale classique et propose un surprenant mélange de ballet contemporain et de danse urbaine qui, loin d’être simplement superposés, se rejoignent en un ensemble des plus naturels. Ainsi transparaît une attitude purement urbaine au travers d’une gestuelle très académique, une opposition qui se fait aussi sentir dans ses choix musicaux. Se côtoient effectivement opéra, coups de feux et sirènes de police, un mélange qui, sans déplaire, est pour le moins surprenant. « J’aime le fait de les [coups de feux et sirènes] opposer à des voix de contre-ténor lyriques évoquant celles des castrats », explique-t-il en entrevue avec La Presse (Kyle Abraham, Légende urbaine- 1er mars 2014).

L’originalité de l’œuvre d’Abraham vient aussi de la conjugaison de différentes formes d’arts. Théâtre, musique, danse, arts visuels : « quand je regarde la danse, je la vois plus comme de l’art visuel que comme un art de performance », explique-t-il au Devoir (Les urbanités fragmentées de Kyle Abraham– 1er mars 2014). En effet, plus qu’un spectacle, c’est plutôt un tableau qui nous est dépeint à travers la performance des sept danseurs. Un tableau de la vie de sept jeunes expérimentant les différences raciales et la turbulence de cette jungle qu’est la vie sociale urbaine américaine.

On peut être à maintes reprises frappé par l’authenticité qui ressort du propos de Pavement. C’est donc sans surprise qu’on apprend qu’il s’agit en fait d’un travail basé sur les expériences vécues par chacun des danseurs, dont Kyle Abraham, expliquant ainsi la teneur plus émotionnelle qu’athlétique de cette performance – bien qu’on puisse être plusieurs fois impressionné par la fluidité et l’amplitude qui émane de l’étrange mélange stylistique présenté.

Fascinant et surprenant, le spectacle présente des ensembles visuellement très intéressants. Le spectateur peut cependant rester surpris du manque de fini qui semble envelopper les mouvements des danseurs. Effet collatéral du background urbain de la composition ou manque d’attention au détail ? Cela semble difficile à définir, mais l’œil du danseur dans l’auditoire aura été écorché par les pieds non pointés qui contrastent tant avec l’impressionnante gymnastique des danseurs.

C’est tout de même une composition particulièrement éclatée et expressive qui nous est présentée par la compagnie Abraham.in.motion, laquelle nous promet d’ailleurs une nouvelle production, la troisième en ligne, dans un avenir très proche.


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