Il est la rockstar de la musique classique. Mercredi 19 mars, les couloirs de la Maison symphonique résonnaient des murmures impatients de la foule qui se pressait aux portes de la Place des Arts, tandis que des individus désœuvrés erraient au milieu de cette liesse, une pancarte à la main, cherchant en vain un dernier ticket à acheter. Ceux qui avaient réussi à obtenir leur place souriaient comme Charlie découvrant le dernier ticket d’or pour la chocolaterie ; tous les billets s’étaient en effet vendus avec une rapidité étonnante.
Cette soirée était peut-être l’événement à ne pas manquer dans le paysage de la musique classique à Montréal. Après avoir donné une classe de maître aux élèves de l’Université de Montréal, le violoncelliste Yo-Yo Ma s’est approprié, le temps de quelques heures, la nouvelle salle de la Maison symphonique. Accompagné de la pianiste britannique Kathryne Stott avec qui il joue depuis près de trente ans, il a interprété un répertoire composé d’œuvres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : la Suite italienne de Stravinsky, la Sonate No.3 de Brahms et les Siete Canciones de De Falla étaient entre autres de la partie.
Une fois de plus, Yo-Yo Ma a montré qu’il est sans conteste un monument de l’interprétation classique contemporaine. Non qu’il doive encore le prouver ; après des études à la Juilliard School de New York puis à Harvard, il joue avec les plus grands orchestres et reçoit de prestigieux prix musicaux, comme le prix Vilcek en musique contemporaine qu’il a obtenu l’année dernière. Le violoncelliste, né à Paris de parents chinois, a également joué à l’invitation de huit présidents américains, et notamment lors de la dernière cérémonie d’investiture de Barack Obama. Mais ce qui l’a fait connaître auprès du grand public, c’est peut-être son enregistrement intégral des Suites de Bach pour violoncelle, dont le monde entier connaît au moins le « Prélude ». Enfin, Yo-Yo Ma a presque 380 000 fans sur Facebook – ce qui n’est pas rien pour un musicien classique.
Pourtant, dès que le maître entre sur scène, que le silence se fait dans la salle et que les premières notes retentissent, on oublie vite cet enchaînement de faits et le tissu de gloire qui colle à l’archet du violoncelliste. Yo-Yo Ma parvient en effet immédiatement à transporter le public dans son propre univers. On est captivé par sa virtuosité, la puissance de son interprétation, mais aussi et surtout par l’émotion qu’il parvient à transmettre. Yo-Yo Ma vit par la musique ; le public ne peut qu’être happé dans ce grandiose tourbillon qui défile devant lui. Ingénieux et intéressant, le répertoire n’en est pas moins osé : au retour de l’entracte, l’artiste interprète la « Louange à l’éternité de Jésus », issu du Quatuor pour la fin du temps du compositeur français Olivier Messiaen. L’incroyable version de Ma et Stott, dont la complicité ravit, fait naître un moment hors du temps – loin de s’embourber, l’interprétation joue avec force et justesse sur la lenteur, les répétitions et la longueur des notes tenues pendant lesquelles Yo-Yo Ma exhibe son vibrato parfait. On l’écouterait pendant des heures.
Après deux heures de spectacle, le musicien quitte la scène sous les hurlements de la foule en délire qui, debout, crie le nom de son idole. Grande star et musicien passionné, Yo-Yo Ma tiendra son rôle jusqu’au bout et reviendra trois fois en rappel. Il termine définitivement son concert par le tube planétaire « Le Cygne », extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. On ressort presque les larmes aux yeux. Il faudra plusieurs jours pour se remettre de ces émotions.