Suite à la mort de son amoureux, Tom, jeune publicitaire, part rejoindre la famille du défunt pour être présent aux funérailles et apporter son soutien à la famille. C’est un choc pour lui de tranquillement constater qu’on n’avait jamais parlé de Tom à la ferme familiale. On attendait plutôt l’arrivée de Sara, une femme « qui a vingt ans et qui fume trop », une bonne mangeuse de pâtes, la blonde du décédé, une « crisse de conne » surtout, parce qu’elle n’est jamais venue rencontrer Agathe et Francis, sa belle-mère et son beau-frère. Elle n’est pas réellement sa copine, mais si Tom découvre le pot aux roses, c’est Francis qui va le jeter dans la fosse aux vaches.
Il y a longtemps que nous attendions d’être témoin cinématographiquement de l’arrivée de Tom à la ferme, le nouveau film de Xavier Dolan, qui avait été présenté l’année dernière déjà à la compétition principale du 70e concours du Festival international de film de Venise, ainsi qu’au Festival du film de Toronto. Le film a été reçu avec de grands éloges, gagnant le prix de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique (FIPRESCI) à Venise.
Suite à ses premiers films que l’auteur nomme lui-même sa « trilogie de l’amour impossible » (J’ai tué ma mère (2009), Les amours imaginaires (2010), Laurence Anyways (2012)), Dolan se lance un nouveau pari : il propose d’adapter la pièce à grand succès de Michel Marc Bouchard (Les Feluettes (1987)). Il conserve le même titre que la pièce, qui avait été présentée en 2011 au Théâtre du Nouveau Monde, dans une mise en scène de Claude Poissant.
Défi de taille, car la pièce de Michel Marc Bouchard est bien appuyée sur les conventions théâtrales : elle réinvente le procédé des apartés, en permettant au personnage de Tom d’énoncer ses pensées à voix haute sans interrompre l’avancement de la pièce. Il est aussi bien conscient de la contrainte de la scène et reflète ce sentiment de huis clos sur ses personnages qui sont symboliquement pris en campagne. L’emprisonnement géographique représente bien l’état des personnages eux-mêmes pris dans leur mensonge.
Car Tom à la ferme est avant tout une pièce et un film sur le mensonge. Dans son « Mot de l’auteur », Bouchard conclut avec une phrase frappante de vérité : « Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir. Nous sommes des mythomanes courageux. ». Avant d’apprendre à aimer, Guillaume (qui n’est jamais nommé dans le film et apparaît seulement dans les didascalies de la pièce) a dû mentir à sa mère Agathe, il a dû prétendre qu’il aimait une fille. Il a même une preuve à l’appui, une photo des deux « amoureux » qui s’embrassent.
L’adaptation est bien consciente de sa nouvelle forme : c’est ainsi que la zone de la pièce s’élargit. Les routes s’ouvrent et les environs sont ouverts à la trame narrative. Le sentiment de claustrophobie reste cependant, car si tout est maintenant ouvert, il n’y a rien dans les environs immédiats. La campagne, c’est l’espace, c’est la distance.
Dans les transpositions importantes, notons le passage de Tom au bar du village, maintes fois nommé dans la pièce. Ce lieu devient source de vérité, un écrit lumineux est délicieusement placé au mur pour souligner la raison de cet ajout : « Les vraies affaires ». Drôle de coïncidence avec la scène politique actuelle, c’est le barman qui n’est pas nommé dans la pièce qui devient le détenteur « des vraies affaires ». Le film donne un horizon de l’extérieur, des « occasions d’échapper à son sort » comme l’affirme Dolan, pour renforcer l’effet de séquestration.
De façon générale, les scènes ajoutées sont pertinentes. Elles frappent. Seules quelques scènes voient leur propos modifiés, voire adouci. On regrette, mais qu’on comprend aussi car elles n’avaient leur place dans leur entièreté dans le film. Dolan coupe notamment le monologue de la mère à propos de sa salade de pâtes qu’elle se sent si souvent obligée de faire, contre son gré : elle était jugée trop dramatique par le cinéaste, impossible de la transposer de la scène à l’écran. Le film devient une entité distincte, signe de la réussite de Dolan. Nous parlerons maintenant de la pièce Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard et du film Tom à la ferme de Xavier Dolan, tous deux exceptionnels. Le film sera à l’affiche au Québec à partir du 28 mars 2014.