Il est bien des façons de dresser un bilan, et les chroniques du Temps qu’il fait n’échapperont pas, du reste, à cette ineptie dénoncée jadis par Flaubert qui consiste à vouloir conclure. Certains endroits du langage méritent d’être remis en question, de la simple prise de contact avec notre interlocuteur à la geste cadastrée de notre existence, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Cette chronique en a donc interrogé quelques uns, avec amusement, à sa manière. Dans l’immense mise en récit de notre monde, chaque forme mérite sa remarque, les nôtres n’ont voulu qu’affirmer ceci : l’homme n’est pas seulement fait pour faire, et on ne communique pas seulement pour communiquer. De là à proclamer l’oisiveté comme principe directeur de nos consciences et de nos vies, il y a un écart. Mais c’est une tension qu’il est bon de cultiver si on veut se tenir le plus longtemps hors de portée des esprits chagrins. Ces-derniers nous font d’ailleurs remarquer que l’otium latin, à l’origine de notre oisiveté, avait ceci de particulier que nos ancêtres le considéraient avec valeur, à l’inverse de son antonyme negotium, devenu ce cher négoce.
Une question subsiste dans ce galimatias : qui n’est pas comédien ? C’est la question que vous pose l’ermite du mont Athos après avoir craché dans votre bol de soupe ses trois noyaux d’olives : « Qui n’est pas comédien ? »
« CRS SS ! Étudiant-diant-diant ! », ma vie traite un jardin de givre, et non sans raison.
Pour être moins abscons, je répondrai que le seul sujet qui vaille la peine d’être entamé est celui du temps qu’il fait. Il s’agit là du premier sujet de conversation. Ça a débuté comme ça. Le temps qu’il fait a ceci de formidable qu’il est invariable et qu’il n’est jamais le même. C’est d’ailleurs le propre de la « lettrure », manière fantasque de désigner la capacité de se comporter dans la vie comme dans un livre.
Car au fond peu importe ce que vous avez pêché aujourd’hui, ce qui nous intéresse c’est de savoir comment vous l’avez pêché, le premier récit est un récit de chasse. Le délire absolu, c’est de pouvoir dire à son voisin : « Regarde ! Ma vie est éthique, puisque j’en fais un récit ! » Atteindre enfin cette distinction dont tout le monde rêve sous couvert d’égalitarisme. Le nec plus ultra de l’expérience morale se trouve ici, entre ces lignes. Parler du temps qu’il fait, c’est mettre en action le récit de soi, mieux encore, c’est le conjuguer à l‘image – ce qu’on appelle poésie. Voyez plutôt : « Jeanne, ayant fini ses malles, s’approcha de la fenêtre mais la pluie ne cessait pas », cette première phrase de roman, de la main de Maupassant, m’est un exemple idéal, n’est-ce pas ? La pluie, la pluie, toujours la pluie ! L’éternel sujet de conversation introduit le roman d’une vie.
Au moment où on l’attend le moins, la littérature –nommez-la–, est partout. Oui, mais si on danse ? La « lettrure » n’est pas folle, et bien qu’elle n’y eût pas pensé, elle sait saisir la valeur qu’elle ne cherchait pas, elle sait bifurquer, prendre un autre chemin au moment opportun. Aussi, le talent en littérature, si on veut employer de tels mots, est de se rendre compte qu’il n’est pas besoin d’attendre que le feu soit vert pour traverser la rue. Et pour ceux qui diraient que la littérature elle-même n’aide pas à traverser la rue, j’ai le froid sentiment dans ma langue que ceux-là sont confortablement assis dans leurs automobiles.