Délires
I.
Quotidien, comme ton goût est fade aux heures de l’insomnie. Lorsque le gras de ta paresse aura fondu, peut-être laisseras-tu entrevoir un halo. Il s’agira, alors, de se tendre un miroir, le plus obliqué possible, pour y refléter les facettes de l’âme. Gare aux allures de démiurge, le miroir est déformant. Prêterais-je serment à mon propre monde de contemplations, clos, isolé, fantasmé ? Passons au travers de la glace, le délire m’a pris par la main. Comme le poète sculpte ses précieux cristaux d’intensité. Comme le chirurgien charcute ses chimères. Comme le savant manipule les fioles protégeant l’essence de sa mort, mobilisée pour l’honneur de l’alchimie créative. Il faut se perdre, pour la création. Dangereux désirs, on vous bâtirait une tour de Babel, ne serait-ce que pour provoquer votre sublime courroux, calamités divines. Des cathédrales, aussi, dont les vitraux ornés se fissureraient en mille écailles sous la pression d’une illumination. Un masque aux infinis reflets ne cesse d’envahir mon champ de vision. Il parvient à perforer les digues de ma raison. Quel autre prix à ma liberté que de me laisser dompter, que de me rendre maître masochiste de cette sauvage folie ?
III.
Les chrysanthèmes ont repris leurs droits sur la terre désertée des morts. Au milieu des câbles béants s’emmêle un amas de gris. On distinguerait presque au loin les remparts figés d’une forteresse de rêves, sur lesquels un lierre cendré s’échine éternellement. Un clapotis discret s’élève des douves vidées des sanglots de naguère. C’était le temps où la seule chaleur gisait dans les yeux humides et gonflés d’une veuve. Ici-bas, les nuages sont lourds des âmes n’ayant pu trouver de refuge dans la sérénité. Comme les ailes noires bruissent en dévoilant les spectres d’amours passées, comme les reflets ondoyants des prairies scandent tout doucement leur liturgie de l’absence.