Selon Albert Schweitzer, « il y a deux moyens d’oublier les tracas de la vie : la musique et les chats ». Dimanche soir dernier, c’était au tour de la musique de remplir cette lourde tâche, et ce grâce à l’hospitalité du Métropolis. Le groupe de musique allemand Kraftwerk y faisait un double concert à 18h30 puis à 22h. Pleine à craquer lors de la seconde représentation, du moins, la salle laissait transparaître un mélange d’excitation et d’intérêt soutenu tout en attendant patiemment Kraftwerk, c’est-à-dire Ralph Hütter (cofondateur, chant, et clavier), Fritz Hilper, Henning Schmitz (percussions électroniques, ingénieurs du son) et Falk Grieffenhagen (technicien vidéo). C’est à 22h19 que le quatuor fait son entrée sur scène, sous l’acclamation généreuse d’un public éclectique mais principalement constitué de quadragénaires munis de jolies lunettes 3D bien vissées sur leur nez. En effet, Kraftwerk a la particularité, lors de ses tournées, de proposer des concerts en trois dimensions grâce à un grand écran permettant d’illustrer leur performance. La compilation, intitulée The Catalogue, de leurs huit albums (Autobahn (1974), Radio-Aktivität (1975), Trans-Europa Express (1977), Die Mensch-Maschine (1978), Computerwelt (1981), Electric café (1986), The Mix (1991) et Tour de France (2003)) était au menu de ce dimanche soir, retraçant avec justesse leur grande carrière.
L’installation audiovisuelle ajoute un aspect singulier à la représentation, en diffusant notamment sur l’écran les paroles importantes des textes, certes limités, du groupe. Cette stratégie médiatique vise à transmettre les messages forts du groupe, évoquant souvent les travers de l’ère technonucléaire dans laquelle nous vivons. Tchernobyl et Fukushima y sont dénoncées, tandis que des robots lobotomisés y représentent notre humanité. Un concert de Kraftwerk n’est donc pas simplement une partie de plaisir, et fait réfléchir son public quant à la direction que prennent les nouvelles technologies. Un véritable processus d’autoréflexion s’enclenche, faisant de leur musique quelque chose de captivant mais aussi et surtout, d’alarmant.
C’est une audience très réceptive et légèrement nostalgique qui acclame les artistes après les titres légendaires que sont « The Robots », « The Man-Machine », « Radioactivity », « Computer World » ou encore « Autobahn ». Enfin, un superbe « Neon Lights » vient envouter l’affichage d’un skyline impressionnant sur le grand écran et un simple coup d’œil en arrière dévoile un public complètement absorbé par les images et les sons l’accompagnant, par cette musique sophistiquée qui fait preuve d’un grand travail de recherche esthétique et technique. Ces sons, enfin, font partie de ceux qu’il faut apprendre à aimer. Difficile d’approche et d’écoute par leur côté répétitif, ils sont, une fois apprivoisés, d’une réjouissance indomptable.