Jusqu’à récemment, je croyais que parler de réforme fiscale était réservé à une poignée de doctorants, qui, fiers d’étaler leur maîtrise de l’alphabet latin, n’hésitaient pas à nous assommer d’acronymes obscurs. J’ai changé d’avis en découvrant le revenu de base, dont la simplicité n’égale que l’audace.
Une idée qui fédère
Le revenu de base est une allocation, reversée par le gouvernement à tous les citoyens, sans condition de ressources ni exigence de contrepartie. Avant de m’imaginer chantant l’Internationale en nord-coréen, sachez que ces théoriciens viennent d’horizons très différents, du libertarisme à l’altermondialisme en passant par le gaullisme. Pour cette raison d’ailleurs, la somme allouée est débattue, variant entre 400 et 850 euros par mois (entre 600 et 1300 dollars canadiens). L’idée centrale néanmoins reste la même dans toutes ces approches : il s’agit à travers ce projet de briser le lien entre travail et revenu.
Dans ce sens c’est une mesure qui ouvre une perspective de profonde liberté. Le revenu de base offre le droit à tous ceux qui souffrent de leur travail d’opter pour un emploi à temps partiel ou de se diriger vers un métier plus épanouissant sans être bridés par la nécessité financière. Il promeut donc l’individualité si chère à Mill ; individualité qui permet d’atteindre une plus grande réalisation de soi-même, et d’être en mesure de servir la société au mieux. L’entrepreneur peut s’impliquer dans son projet de start-up sans souci de rentabilité immédiate, tout comme celui qui décide de reprendre les études pour se réorienter.
D’autre part, le revenu de base est soutenu par les libertaires car il serait une aubaine pour les entreprises. Ce revenu constituerait un filet de sauvetage pour toute la population active, et offrirait ainsi une véritable flexibilité au marché de l’emploi. Les conditions de licenciements en seraient facilitées, et les charges allégées.
Un réalisme contesté
Les détracteurs du revenu de base invoquent souvent la question du financement pour critiquer le projet. En réalité, il semblerait que cette nouvelle redistribution soit déjà envisageable en Europe de l’Ouest et du Nord où existent de lourds taux d’imposition, comme l’indiquent Opielka et Strengmann-Kuhn dans un ouvrage de 2007 (Basic income, guarantee and politics, international experiences and perspectives on the viability of income guarantee). Le revenu a la prétention de remplacer toutes les allocations existantes. Dans un pays comme la France, cela permettrait de dégager assez de ressources pour le financer sans augmenter les impôts.
Les opposants à cette mesure la critiquent aussi en la qualifiant de nouvelle « trappe à inactivité ». Qui irait travailler, argumentent-ils, si on pouvait être payé à ne rien faire ? En réalité, cette crainte n’est pas tout à fait justifiée. D’après une enquête réalisée par Mona Chollet et Thomas Lemahieu, (« Revenu garanti, ‘’la première vision positive du XXIe siècle’’») en Allemagne, 60% des actifs ne changeraient rien à leur mode de vie si ils touchaient le revenu de base ; 30% travailleraient moins, ou feraient autre chose. En revanche, 80% se disent persuadés que les autres ne travailleraient plus.
Pour conclure, le revenu de base est un pari. Un pari qui n’est pas si risqué qu’on pourrait le croire et que certains sont déjà prêts à prendre. D’après un sondage récent, 55% des Québécois se disent favorables à cette mesure, et le parti Québec Solidaire soutient la mise en place d’un revenu minimum de 12 000 dollars par année, en remplacement de l’aide sociale. Cependant la logique n’est pas la même qu’en Europe, comme précédemment décrit, car il n’existe pas ici de revenu minimum. Si sa réalisation risque de prendre du temps, le revenu de base est en tout cas une raison de penser que la politique occidentale n’est pas condamnée au conflit entre utopie et triste réalité.ξ