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« Jésus, tu me manques »

L’heureux naufrage moral du Québec.

GRACIEUSETÉ D'OVIZION

« On est quand même dans la seule époque où quand un garçon de quinze ans demande à son père : “Quel est le sens de la vie?”, le père se tait. »

L’observation troublante d’Éric-Emmanuel Schmitt donne le ton du film. La problématique du documentaire formaté pour la télévision de Guillaume Tremblay et de sa femme Xavie Jean-Bourgeault s’inspire de l’idée que le Québec est aux prises avec une dérive morale depuis la Révolution tranquille. En agissant sur sa colère contre l’Église catholique et en la chassant de son quotidien, la Belle Province aurait en quelque sorte jeté le bébé avec l’eau du bain. Suite au déclin de la religion au Québec, il s’installe progressivement un vide existentiel qui éveille chez nombre de gens un appétit spirituel grandissant. 

Où donc tenir la première du film ? Dans une église, bien sûr. 

Prenant la forme d’une longue conversation candide, L’heureux naufrage propose une réflexion aux antipodes du didactisme. Le film pallie les divergences des personnalités sollicitées en adoptant un ton personnel, en posant des questions intimes. « Si le propos devenait trop évangélisateur, on délaissait l’entrevue. Pareillement pour celles qui n’étaient que dans l’intellect. Ce qu’on voulait, ce n’était que des messages venant du cœur », confie Noémie Jean-Bourgeault au Délit

L’honnête travail de recherchiste du défunt Éric Wingender, en quête de « ceux qui ont parlé de spiritualité en public dans les dix dernières années », présente les opinions d’un éventail de personnalités allant de Ginette Reno à Denys Arcand, de Jonathan Painchaud à André Comte-Sponville. Bémol cependant : le film, dont le réalisateur se dit l’ennemi de tout bête dogme, s’appuie essentiellement sur un défilement de figures présentées comme garantes d’autorité. En d’autres mots, pas de M. Tout-le-Monde. Qui plus est, un je-ne-sais-quoi de nombriliste transparaît dans le choix sans doute inconscient de personnalités blanches, franco-centriques, adultes et pour la plupart éduquées. 

Quoi qu’il en soit, la pertinence de la réflexion amorcée excuse les lacunes méthodologiques de la réalisation, qui ne sont lacunes que pour ceux qui auraient aimé se réchauffer auprès d’un plus vaste brasier théologique. Tout comme les propos des intervenants, le film lui-même est éminemment personnel, sincère. Après tout, le voyage spirituel de chacun ne peut commencer que de là ou l’individu se situe ; ainsi, L’heureux naufrage se lit comme le journal intime de deux voyageurs s’arrêtant aux gîtes qu’ils croisent au fil de leur recherche. 


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