Fédérer la jeunesse québécoise par l’entreprenariat social, voilà le projet que se sont donné Bernard d’Arche et Théo Bourgery, McGillois et membres fondateurs de La Route des Possibles.
Qu’est-ce ? Un tour du Québec par cinquante jeunes, ponctué de conférences d’entrepreneurs sociaux. Il faut tout de suite préciser qu’un même concept existe en France, et que c’est fort de leur participation à un « Tour de France d’entreprenariat social » l’été dernier que les deux étudiants se proposent de transposer l’expérience au Québec.
Le modèle : Ticket for Change
À la source du projet, il y a un modèle : Ticket for Change. Ce programme français — malgré son intitulé trompeur—, s’est d’abord voulu une réaction à un article du journal Libération, intitulé : « Jeunes français, barrez-vous ! » (thème pour le moins familier des français de Montréal). Il s’est donné pour objet de montrer à la jeunesse des initiatives marquantes, qui font bouger les lignes à travers le pays, et ainsi de lui donner la force d’entreprendre, d’effectuer les changements qui lui tiennent à cœur. Comment peut-on s’y prendre pour remplir une pareille mission ? Ticket for change (et bientôt La Route des Possibles) a opté pour une double stratégie : le développement personnel d’un groupe de jeunes par un Tour de France de quinze jours, ainsi qu’une communication extrêmement poussée autour du programme afin d’élargir son impact.
La copie : La Route des Possibles
L’aspect pédagogique de La Route des Possibles est géré par Bernard d’Arche et Théo Bourgery. Quant à la coordination, la communication et la recherche de partenaires financiers, Clémence Crépeau, Marine Bonnell et Cécile Branco en sont respectivement responsables.
La méthode de formation se schématise par la « pédagogie en U ». Le U reflète les trois phases du projet : inspiration, introspection, et passage à l’action. Tout d’abord, c’est l’émerveillement, la volonté de « faire briller les yeux » des participants, par la découverte d’initiatives phares. Par exemple, les exhortations de Jacques Attali (économiste, écrivain et homme politique socialiste français) et d’Emmanuel Fabert (PDG chez Danone) ont ponctué le tour français. Ensuite, il y a une phase de sortie du monde, de questionnement de soi ; de là la plongée vers le monde intérieur à la base du U. Cette phase peut inclure des sessions de méditations ou des exercices de définition de son identité, en se projetant par tranches d’âge jusqu’à sa mort par exemple. L’expérience, décrite comme un défi de taille, est encadrée — « on veut éviter les suicides » plaisante Théo Bourgery. Elle doit mener à une meilleure connaissance de soi afin d’en sortir renforcé et prêt à passer à l’action. La dernière phase est donc créatrice : il s’agit de définir un projet et de le présenter le dernier jour devant tous les acteurs. Comme chaque fois, un accompagnateur permet une véritable formation et s’assure de la cohésion du groupe. Ticket for Change s’est soldé lors des présentations par environ un tiers de « retours sur expérience », un tiers de présentations d’idées vagues et un tiers de projets concrets selon les deux étudiants. Cela est peut être insuffisant pour Bernard d’Arche, qui projette d’allonger la dernière phase ; néanmoins, l’objectif étant avant tout initiatique pour Théo Bourgery, peu importe le moment du déclic tant que les participants sont mis sur la « Route des Possibles ».
La démarche sociale
Les cinq fondateurs ont créé leur société sous le statut d’OBNL (Organisation à But Non Lucratif). Leur démarche, selon Théo Bourgery, découle « d’une envie folle de vouloir partager » l’expérience de Ticket for Change au Québec, mais aussi d’une même envie d’influencer la société vers une économie responsable. Il décrit en effet l’entrepreneuriat social comme le fer de lance de cette mouvance qui a la prétention de revisiter le capitalisme. Par exemple, l’absence de versements de dividendes ou la poursuite active de bénéfices sociaux la différencie de l’entrepreneuriat en général, et permet d’«optimiser le profit plutôt que de le maximiser ». Cette vision, couplée au constat d’un fossé en termes de connectivité au monde entre d’une part la capitale économique : Montréal, et d’autre part les cantons de province, par ailleurs peu connectés entre eux, sert de moteur au groupe. À double stratégie (le tour et la communication) convient double objectif : « faire des cinquante jeunes des acteurs de changement » et « fédérer la jeunesse québécoise pour qu’elle entreprenne ensemble ». Le deuxième point, également formulé par Cécile Branco comme le don d’«une vision pour le développement de toute la province », passe donc par l’inclusion de la diversité. La présence d’autochtones et d’autres représentants des minorités est ainsi nécessaire selon eux. La vaste mission de fédération des territoires pose la question, propre à l’entrepreneuriat social et insoluble pour Théo Bourgery, de chevauchement avec les pouvoirs publics. Sont-ils ici complémentaires ou rivaux ? L’intérêt financier de La Route des Possibles, qui table sur un budget annuel de $500,000 — en ne chargeant que symboliquement chaque participant — laisse espérer leur soutien.
Quelques questionnements sont pourtant de mise pour un projet de cette envergure. Comment s’assurer que la sélection des candidats maintienne la diversité tout en préférant des jeunes sensibles aux problèmes de société ? Sur les plans pratiques et financiers, comment rallier au projet des intervenants et des accompagnateurs de qualité et qui se tiennent à la pédagogie en U ? Enfin, comment maintenir l’organisation apolitique, tout en recherchant le financement des pouvoirs locaux et provinciaux ? Autant de défis auxquels les organisateurs vont devoir répondre, d’ici l’été 2015, date prévue du lancement du projet.
Mais ce n’est pas l’enthousiasme qui manque. La Route des Possibles se veut si révolutionnaire que Bernard d’Arche affirme qu’elle prouve qu’ « être ‘bisounours’ dans un monde qui ne l’est pas, ça peut marcher », et à Théo Bourgery que « pendant un tel tour, tout est possible ! » Leur optimisme forcené semble le garant du succès ; l’on peut résumer ainsi : « au pire, ça marche ! »