Le mardi 7 octobre, devant une foule de journalistes, Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des Beaux-arts de Montréal (MBAM), a dévoilé l’exposition tant attendue « De Van Gogh à Kandinsky », qui retrace la naissance de l’expressionisme. Détaillant les liens artistiques entre l’Allemagne et la France de la Belle Époque, de 1900 à 1914, l’exposition permet de comprendre les origines d’un mouvement qui marquera l’Europe tout au long du 20e siècle. Timothy O. Benson, conservateur du Robert Gore Rifkind Center for German Expressionist Studies au LACMA (Los Angeles County Museum of Art), à qui l’on doit en grande partie cette exposition, le dit lui-même : « La nature de l’expressionisme est compliquée, même pour moi qui suis censé être expert en la matière ». Tentons de la comprendre.
L’influence du postimpressionnisme
La première salle permet au visiteur de visualiser le contexte historique du mouvement : des photographies montrent le Paris de la Belle Époque, en pleine effervescence culturelle et artistique grâce à l’Exposition universelle de 1900. Dans les salles suivantes, l’influence du postimpressionnisme est tout de suite soulignée. Ce style assez flou est défini par les mouvements qui ont suivi l’impressionnisme, qui en ont divergé et qui s’y sont parfois opposés. On compte comme représentants importants Gauguin, Cézanne, mais surtout Van Gogh. Ces artistes, tous représentés dans l’exposition, ont eu une grande importance en Allemagne. Un exemple marquant : le premier achat d’un tableau de Cézanne a été fait par un musée allemand ! En effet, Hugo von Tschudi, directeur de la Nationalgalerie de Berlin, procède à cet achat en 1897.
Les relations artistiques franco-allemandes sont alors très fortes, comme le symbolise « l’académie Matisse », un des principaux creusets artistiques franco-allemands. Il ne faut alors pas s’étonner que, sous l’influence du postimpressionnisme, deux mouvements se développent en même temps : le fauvisme en France, dont Matisse est le chef de file, et « Die Brücke » (« le pont ») en Allemagne, le premier grand mouvement expressionniste outre-Rhin. Le fauvisme est notamment marqué par la libération de la couleur, qui est également une des caractéristiques de l’expressionisme allemand. Cette libération se ressent aussi dans l’esthétique du « Brücke », comme dans les tableaux de Kirchner, un des artistes les plus importants du mouvement, très présent dans cette exposition. Un grand travail sur la libération de la forme apparaît également dans ces deux groupes.
Après ces premières salles déjà remplies de chefs‑d’œuvre, la définition de l’expressionisme semble s’éclaircir un peu. Les magnifiques Faaturuma de Gauguin, Académie bleue de Matisse, Le Corsage rayé de Vuillard, et un autoportait de Van Gogh, méritent une attention toute particulière parmi ces premières toiles.
Cubisme, libération de la forme et naissance de l’abstrait
Les salles suivantes mettent les cubistes à l’honneur. Qu’est-ce que le cubisme ? Le 15 avril 1904, Cézanne dit à Emile Bernard : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central. » C’est le point de départ du mouvement : en travaillant les formes géométriques, les artistes ne se doivent plus de représenter la réalité comme ils la voient : c’est la libération de la forme. Sous l’impulsion d’artistes présents en France, comme Picasso et Braque, le cubisme prend une importance capitale sur la scène picturale, et, par extension, culturelle. L’exposition présente de magnifiques œuvres issues de ce mouvement, notamment un Picasso, et la superbe Tour Eiffel de Robert Delaunay.
Le cubisme affectera les deux mouvements cités précédemment, mais également un nouveau, créé sous l’impulsion de Wassily Kandinsky, le « Blaue Reiter » (« Le Cavalier bleu »). Les œuvres de Kandinsky, exposées plusieurs fois dans les dernières salles, sont particulièrement intéressantes pour comprendre le chemin parcouru jusqu’ici. Grâce à l’organisation instructive de l’exposition, le visiteur comprend clairement comment quinze années ont pu mener à ces ultimes chefs‑d’œuvre (Au Délit, coup de cœur pour Sans titre, Improvisation III). Influencé par les mouvements qui l’ont précédé, Kandinsky (créateur de la première œuvre considérée comme abstraite, en 1910) superpose les lignes et les couleurs de façon beaucoup plus libre qu’au début du siècle, ce qui donne lieu à des tableaux très puissants.
Le visiteur peut alors beaucoup mieux comprendre la définition théorique de l’expressionisme, dont le jeu sur les formes et les couleurs déforme la réalité, permettant d’exprimer des sensations de manière expressive, beaucoup plus forte.
Cependant, l’exposition arrive à sa fin, tout comme cette période de foisonnement artistique. Après la montée d’un fort nationalisme allemand, porté par des personnalités comme l’artiste Carl Vinnen, l’opinion se divise. Les œuvres françaises sont à la fois adulées par une partie de la population, et sévèrement rejetées par une autre. Le point d’orgue de cette profonde animosité est évidemment le 3 août 1914 : l’Allemagne déclare la guerre à la France. Mais que cette triste conclusion ne décourage surtout pas de se rendre à cette exposition, qui reste, sans aucun doute, l’un des plus beaux rendez-vous artistiques montréalais du moment.