Somme toute, l’historien de l’architecture Guido Beltramini ne s’est pas trompé en choisissant la Belle Province, et plus particulièrement, le CCA, pour accueillir cette nouvelle exposition. En effet, celle-ci retrace l’interprétation du langage architectural de l’Italien Andrea Palladio opérée par Thomas Jefferson quelque cent cinquante années plus tard aux Etats-Unis. Imaginée comme « une véritable narration visuelle », pour reprendre les termes de conservatrice en chef de l’établissement Giovanna Borasi, l’exposition met en perspective le patrimoine légué par ces deux architectes à travers une série de photographies entre 2012 et 2014 par Filippo Romano, co-comissaire de l’exposition entre 2012 et 2014. S’ajoute à la projection des clichés une présentation de deux ouvrages rares appartenant à la collection du CCA : un exemplaire d’I Quattro Libri dell’Architettura (1570) d’Andrea Palladio, accompagné de sa première traduction en anglais, The Architecture of A. Palladio (1721), par Giacomo Leoni.
C’est précisément grâce à cette traduction que Jefferson, alors ambassadeur des Etats-Unis auprès de la France, découvre le travail du maître Palladio. Persuadé de tenir entre ses mains une traduction parfaite des Quattro Libri, il profère : « Palladio est la Bible ! », sans même avoir visité le moindre bâtiment de l’architecte italien. Il utilisera la traduction infidèle de Leoni, modifiée afin de correspondre aux goûts baroques contemporains, pour dessiner, entre autres, les plans de l’université de Virginie, construite à partir de 1817. Ce léger « quiproquo architectural » raconte ainsi l’histoire de la transmission des principes palladiens dans le contexte social, politique et économique de l’Amérique du Nord du XVIIIe siècle, alors en pleine quête identitaire.
En ce sens, la portée politique de cette interprétation, certes erronée, par l’architecte et homme d’État américain Jefferson n’est pas négligeable. Au-delà de la qualité artistique de l’œuvre de Palladio, il est important de noter que ce dernier venait d’une République –celle de Vénétie– et que l’Italie symbolisait alors le socle de la culture occidentale dans le domaine de l’architecture. La recherche d’une certaine forme de légitimité permettant de justifier l’existence même d’une nouvelle démocratie en Amérique explique probablement l’engouement du président Jefferson envers le palladianisme. Quoiqu’il en soit, les photographies de Romano mettent en lumière la résilience et le caractère indémodable de l’architecture de Palladio malgré les changements de contextes, de fonctions, de climats, ainsi que les erreurs de traduction.
En ce qui concerne sa forme, cette exposition –située dans la salle octogonale du CCA– intrigue par son aspect minimaliste mais ne laisse que peu de place à l’information et à la transmission du savoir. En effet, les livres, trop précieux, ne sont pas disponibles à la lecture et la projection des photographies n’est pas légendée, alors même qu’il est difficile de différencier les œuvres palladiennes de celles de Jefferson. On notera cependant la qualité de l’agencement visuel entre les différents clichés, permettant ainsi des comparaisons intéressantes, autant sur le plan esthétique qu’intellectuel. Enfin, Found in Translation : Palladio-Jefferson nous rappelle que, quelque part, l’architecture est le miroir d’une civilisation ; et de toutes les ironies qui contribuent à la définir. Un discours que nous ne connaissons que trop bien, ici, au Québec.