Hubert Colas est auteur, metteur en scène et dramaturge. En 1998, il crée à Marseille la compagnie Diphtong . Il crée en 2002 le festical ActOral, qui a pour but d’interroger les écritures scéniques et contemporaines. L’édition 2014 du festival est le fruit d’une collaboration avec l’Usine C de Montréal et fait d’ActOral un splendide pont culturel transatlantique.
Le Délit (LD): Comment s’est imaginé et matérialisé ActOral ?
Hubert Colas : La genèse d’ActOral est liée au lieu que j’ai créé à Marseille dans un premier temps. En réalité, ça se pose comme ça : je suis plutôt un auteur-metteur en scène, j’ai une compagnie, des artistes avec qui je travaille, des acteurs, et j’ai pris un lieu à Marseille qui était un lieu de travail. Et je me suis dit que ce lieu-là, j’allais le partager avec d’autres artistes, que j’allais en inviter d’autres, puisque je ne vais pas l’utiliser douze mois sur douze.
« On a une langue qui est la même, et on a une musicalité différente.»
Ce qui m’intéresse, ce sont les écritures contemporaines. Ce que je voyais, c’est que les écritures contemporaines de théâtre sont très figées dans un certain protocole d’écriture de formes. Et ce qui m’intéressait à Marseille, c’était de comprendre quels espaces de rencontres y seraient pertinents. Je m’intéresse à la poésie, à la poésie sonore, aux formes transversales d’écriture, donc je voulais plutôt inviter des écrivains d’une manière générale. Il s’agissait d’arrêter de penser les clivages entre littérature et théâtre, d’arrêter de dire que le théâtre est un sous-genre littéraire ; on va dire ce sont des auteurs à part entière. Donc j’ai invité un certain nombre d’artistes. Chemin faisant, on a bien vu que ça a créé des mélanges, des formes, des inspirations.
Du coup, j’ai continué à faire ça, on a commencé par trois-quatre jours, c’était essentiellement les artistes en résidence, puis on est passé à quatre-cinq. On appelait ça « Rencontres » au départ, et puis après, ce qui était intéressant, c’était d’inviter des artistes qui ne sont pas écrivains mais qui travaillent sur des écritures. Je me suis dit qu’il y avait les écritures scéniques, donc je me suis dit qu’il fallait inviter ces gens-là. J’ai finalement de plus en plus ouvert sur cela et créé des maillages entre des chorégraphes, des plasticiens, des cinéastes, des dramaturges, des poètes sonores, et le champ d’ActOral s’est ouvert comme cela. Nous interrogeons les écritures dans tous les domaines artistiques.
LD : Comment ActOral s’est-il transformé en un pont culturel entre Marseille et Montréal ?
HC : ActOral est né de ma compagnie, Diphtong. D’abord je suis quelqu’un du service public, j’ai l’impression d’être né là-dedans, avec l’idée qu’une société est une société de partage, donc c’est un acte politique sans revendications politiques… mais c’est un acte politique. Je viens ici pour présenter un spectacle de ma compagnie qui s’appelle Kolik, et on se rencontre avec Danièle de Fontenay, on parle, je lui raconte toutes mes activités, et elle me dit : « Mais pourquoi tu n’organiserais pas un ActOral à Montréal ? ». Je réfléchis, je m’enthousiasme à cette idée-là et puis je lui dis que ce serait formidable que ce ne soit pas simplement Actoral qui vienne à Montréal mais qu’il s’agisse d’une collaboration franco-québécoise et que ces artistes puissent voir et se voir.
Pour moi c’est une vraie collaboration entre ces deux continents qui n’est pas simplement pour afficher ce qui se passe au Québec et en France mais bien pour que ces artistes se rencontrent, partagent des temps, discutent ensemble, pas forcément collaborent mais en tous cas se regardent, se voient, s’appréhendent, et que tout ceci produise du sens, des rencontres et un déplacement. Au même titre que l’on pourrait dire qu’il doit y avoir un déplacement du public, dans les formes que l’on propose. On a tendance, dans notre société, à créer de la consommation spectaculaire où les gens doivent savoir ce qu’ils vont voir. Je crois qu’avec Actoral, ce que l’on propose autant à Marseille qu’à Montréal, c’est d’aiguiser la curiosité du public, des artistes, de trouver des espaces-temps possibles. Comme le disait Julien Gosselin à son spectacle, ça créé une brèche dans le temps de travail qui lui est offert et dans lequel il va avoir un vrai temps de recherche, d’ouverture et de pensée.
« C’est ça qui me paraît essentiel dans l’art, d’aller vers ce que l’on ne connaît pas. »
LD : Avez-vous remarqué des similitudes entre les artistes québécois et les artistes français dans l’approche de ces écritures hybrides et intermédiales ?
HC : C’est vrai que, par moments, j’ai pu voir des points de convergence entre certains artistes. Nicolas Quentin et Thomas Ferrand, esthétiquement et aussi dans un champ du « non-spectacle»-spectacle, parce que Nicolas Quentin c’est du non-spectacle mais c’est du très-spectacle. Pour Thomas Ferrand, c’est la même chose. Donc il y avait un pont là, entre ces deux artistes, qui se sont aussi rencontrés, Thomas Ferrand est allé en résidence ici, Nicolas est venu en résidence en France. Et donc il y a eu une sorte de porosité des formes. On a des gens qui réfléchissent par rapport à leur création de façon très intuitive sur une réaction au monde sans en faire un discours préalable. On a affaire à une sorte d’intelligence extrêmement difficile du sens, puisqu’elle ne cherche pas à se maîtriser au moment où elle se produit.
C’est vrai qu’il y a des formes, on est tous dans le spectacle vivant, dans la littérature, mais au même titre que j’aurais envie de dire qu’en France on ne peut pas analyser les spectacles en disant que ce sont des spectacles français, – je refuse cette catégorisation là –, je ferais pareil entre l’échange entre les Québécois et la France. Mais je peux voir qu’esthétiquement il y a un certain nombre de choses qui se rejoignent, d’ouverture, des pensées. On a une langue qui est la même, et on a une musicalité différente. Cette rencontre-là, on va pas dire qu’elle est poétique, ce serait désuet de dire une chose pareille, mais malgré tout il y a quand même quelque chose de l’ordre d’un déplacement poétique de l’écoute qui m’intéresse avec le Québec. Quand vous avez un artiste québécois qui vient en France et qui s’exprime, il y a forcément quelque chose au niveau de l’écoute qui est différent. Mais c’est comme nous quand on arrive ici et que – (rires) j’vais dire des conneries hein – au lieu d’avoir des souris dans la rue on a des écureuils. Il y a quelque chose qui fait que notre regard, notre façon de se sentir vivant n’est pas tout à fait pareille. C’est comme une renaissance, une reconnaissance de sensibilité ouverte qui se fait. Un artiste quand il travaille, c’est finalement comment il déploie sa capacité d’écoute de lui-même et de ce qui l’entoure pour produire quelque chose. Le public dans une salle, quand on l’invite à entendre quelque chose qu’il ne connaît pas, c’est ça qu’on lui demande : plus on ira dans cette direction-là, plus le public sera sensible à des propositions de lieux ou d’artistes sans les connaître. Et c’est ça qui me paraît essentiel dans l’art, c’est d’aller vers ce que l’on ne connaît pas.
LD : Justement, alors que l’on connaît bien la culture française au Québec, la France ne semble pas être ouverte à la culture québécoise.
HC : Je sais pas, je n’ai pas analysé cela. Je pense que la France a un complexe de supériorité. Tout simplement, je pense que c’est là-dessus que ça se joue. Sur comment la France se pense depuis tout temps comme étant le fleuron des arts, par rapport à la Suisse, à la Belgique, au Québec. Je pense que l’on a cette idée-là de nous, mais elle n’est même plus pensée, elle est très instituée, dans le corps des gens.