L’avez-vous remarqué ? Que j’écris ici ce que je n’écris pas lorsque j’écris sans prétendre que c’est moi qui crie ? Je ne me souscris souvent qu’au rythme de ma plume, aussi les idées que j’impulse dans ce petit cours sont-elles à la fois sous le vent et un peu hors du temps, Chronos trébuche en syncope. Je dérive mais j’y arrive, à aujourd’hui, car pas plus tard qu’hier soir, au lieu de me demander ce que je pourrais inscrire ici, je me suis demandé comment je pourrais m’inscrire ici.
Vous commencez à comprendre le principe et je pourrais vous laisser rédiger la suite, mais je vous accompagne pour cette fois, car nous arriverions peut-être à une conclusion différente, d’où l’intérêt que j’ai à décortiquer cette petite pensée avec vous : comment je pourrais m’inscrire ici. Le Comment, cousin du Pourquoi – référez vous à la chronique précédente si vous doutez de la filiation – nous servira de ressort pour cette dissection. N’ayez crainte, il n’y aura pas de sang. En fait, si, il n’y aura que ça.
Le cas du Comment est réglé, passons au je. Mais. Qui. Suis. Je. Est-ce que je suis ma propre évolution ? Si je mets suis avec la première personne singulière, je risque de glisser sur une homonymie ambigüe qui pourrait provoquer une fuite de sens ; donc j’enduis de suie la deuxième du pluriel : vous. Suivez-vous votre propre évolution ou la précédez-vous ? La subissez-vous ou la générez-vous ? Êtes-vous soumis à ce que vos origines ont fait de votre être ? Régénérez-vous, bon sang !
Voyez comme il est des sujets délicats, même pour moi. C’est que je dois admettre que je ne sais pas trop d’où je suis et j’ai du mal à être douce quand je suis lost. Suis-je embrouillée par naissance ? Mon sang est resté coincé à la frontière, il ne sait plus par où circuler entre un pays slave qui a cessé d’exister ; une terre celtique qui n’a autre chose qu’un drapeau, une langue presque perdue, toutefois inscrite sur les signalisations, une culture, des promesses désuètes et des autoroutes ; une province – mot qu’il ne faudrait d’ailleurs pas employer – qui oscille dans les référendums en plaidant légitime défense de la langue française ; et puis mon lieu de naissance, ce pays bien dans l’union, si ce n’était de la Corse – et du quatorzième arrondissement, selon Renaud. Contrée emmurée dans son « identité nationale », sauf lorsque l’un des pans danse, auquel cas le passé se fait lourd. Je jette les dés, c’est le jeu, ce faux départ te ment, le divers tisse et moi je brode, je l’aime car nous sommes quittes ; j’ai prêté, sans serment, allégeance à la reine d’Angleterre !
Passons avant que je ne m’enflamme et reprenons le cours des choses écrites. Nous en sommes à « pourrai m’inscrire. » Pardonnez mon impertinence mais je garde farouchement le silence pour ce qui a trait au pouvoir. Pour ce qui en est de s’inscrire, j’ai appris à remplir les formulaires de la façon la plus patrimoniale dont il me soit donné l’usage. Pourtant, lorsqu’on me dit « nom », je répondrais bien « non » et lorsqu’on me demande « Famille » je choisirais plus sereinement « mi-femme, mi-fille ». Mais j’inscris sans frémir, à contrecœur, simple sens, sans sourire ; en attendant de pouvoir écrire ce que je n’écris pas lorsque j’écris sans prétendre que c’est cette moi-là, ce sang qui crie !