Après une formation en art dramatique et des débuts prometteurs au cinéma, un accident de la route a contraint l’artiste multidisciplinaire André Bouchard à réorienter sa carrière vers la peinture, qu’il considère comme un « mode d’expression libérateur » lui permettant « d’exorciser [s]a peine de voir l’humanité s’employer à détruire son habitat naturel au profit du superficiel [tout en] partageant [s]es préoccupations » sur différents enjeux qui lui tiennent à cœur. La liberté, dont découlent les thèmes de la paix et de l’environnement, est au centre de la vie et de l’art du peintre prolifique qui n’a pas la langue dans sa poche : « Être libre, c’est d’être en harmonie avec la nature et les autres êtres humains. » Ces convictions sont omniprésentes tant dans les œuvres que dans la façon dont André Bouchard promeut son art et agit avec son public.
Un artiste humaniste
La murale pour la paix d’Amnistie internationale, comprenant l’affiche « Pour un monde sans torture », est un des projets dont l’artiste est particulièrement fier. Il décrit cette murale comme une « révolte face à l’injustice » faite aux humains (les femmes et les enfants, en particulier), aux animaux et à la terre. Les tableaux qui composent cette murale de 60 mètres au total ont été distribués dans différents organismes communautaires un peu partout au Québec. Monsieur Bouchard dénonce par ailleurs depuis plus de trente ans le manque de respect de la nature qui prévaut et les abus de la terre, notamment dans le milieu des affaires. Dans le souci de respecter l’environnement, l’artiste tient à intégrer la nature dans son art. Il peint donc sur des matériaux recyclés et crée à partir de « matières volées dans les poubelles de nos sociétés surindustrialisées ».
André Bouchard accorde également une grande place à son public dans ses pratiques artistiques. En septembre dernier, le peintre a organisé un événement artistique interactif original étalé sur trois jours à Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie. Les résidents de la municipalité étaient invités à se rendre à leur centre communautaire afin de participer à la création d’une grande fresque collective. Lors du discours d’ouverture, monsieur Bouchard affirmait : « Par la force de la matière et de la couleur, on va communiquer notre amour de la vie sur la terre », reprenant ainsi ses thèmes phares, soit la paix et l’environnement. Toute la population était sollicitée pour apporter sa touche personnelle à l’œuvre, et le peintre vante le résultat final convaincant.
Galerie mobile
La galerie mobile est un concept unique qui permet au peintre de demeurer libre d’exprimer ses convictions sociales et de les partager directement avec son public. La motivation première derrière la galerie mobile, née il y a deux ans, est d’aller à la rencontre du public : « Quand j’ai compris que je ne pourrais pas tisser de liens avec les gens du pouvoir, j’ai tout mis en œuvre pour me rapprocher des amoureux de l’art », nous explique André Bouchard. La galerie mobile est née dans le stationnement d’un restaurant de la municipalité de Saint-Siméon, où l’artiste s’était rendu en vélo avec quelques-unes de ses œuvres. Il y a vendu six tableaux, et l’expérience lui a inspiré l’idée de créer une galerie mobile permanente. Il a obtenu la remorque qui lui sert à transporter ses œuvres en échange d’un tableau, puis l’a « construite [et] inventée au fur et à mesure ». L’artiste-peintre, maintenant installé à Donnacona, sillonne aujourd’hui le Québec avec sa galerie mobile pour présenter ses œuvres directement à ses clients, qu’il décrit d’ailleurs comme des amis. « L’art a une influence positive » et permet un contact humain « serein » et une relation amicale avec les amateurs d’art, affirme-t-il. Les tableaux abstraits et semi-figuratifs d’André Bouchard, comme il les décrit lui-même, possèdent d’ailleurs la force de permettre une « projection de nous-mêmes » : un tableau renferme une partie de l’artiste, mais surtout une partie du spectateur, qui interprète l’œuvre selon ses sentiments, ses émotions et ses expériences personnelles, entre autres facteurs.
Art et engagement
La galerie mobile est également un moyen pour l’artiste-peintre de respecter ses valeurs et de conserver une liberté totale dans un système où l’engagement politique, social et environnemental d’un artiste risque de déplaire et de lui nuire dans la course aux subventions gouvernementales. « À force de me faire tasser en raison de mes prises de position en faveur de l’environnement, contre la collusion [et] la corruption que je dénonce ouvertement depuis une trentaine d’années, je suis bien identifié par la presse concentrée et ses journalistes embauchés pour leur capacité à répondre aux désirs de leur patron de leurrer sous le couvert de la vérité », se désole monsieur Bouchard. L’artiste-peintre, dont on peut dire qu’il est « tout un personnage », soutient que son art est apprécié du public, mais que les gens au pouvoir exercent leur contrôle, ce qui lui vaut souvent d’être éloigné du milieu. Il rapporte notamment qu’après avoir été approché par un musée (dont il souhaite taire le nom pour s’éviter davantage de problèmes), on a finalement renoncé à exposer ses œuvres, malgré un intérêt très marqué pour ses tableaux. Des années plus tard, on lui a appris que la raison du rejet de ses œuvres a été son engagement environnemental et social qui dérangeait les gens influents dans la région. Son documentaire Pikauba, réalisé en 2003 pour dénoncer l’intention du gouvernement du Québec de construire un barrage sur la rivière et « met[tre] en lumière l’hypocrisie de promoteurs qui souhaitent harnacher la rivière Pikauba au Saguenay », et ce, sous le couvert de la sécurité publique, a notamment déplu au milieu politique. L’artiste-peintre fait également remarquer que les subventions et le financement public sont très difficiles à obtenir dans le milieu artistique sans un réseau de contacts bien placés. C’est pourquoi il a décidé de se concentrer « sur les relations individuelles avec [s]es clients-amis », un objectif que la galerie mobile lui permet d’atteindre.
Au fil de sa carrière, l’artiste coloré s’est servi de l’art comme tribune pour partager son engagement social, politique et environnemental en vidéo, en poésie et en peinture. Il refuse tout compromis dans ses œuvres et dans ses discours, mettant de l’avant l’importance pour un artiste d’être entièrement libre, même si ça lui vaut d’être ignoré par les gens du pouvoir.