Aller au contenu

Molière de passage à McGill

Le Délit a rencontré la troupe Franc-Jeu qui présente Le Malade imaginaire au Théâtre MainLine cette semaine.

Éléonore Nouel

Le Délit (LD): Petit rappel pour nos lecteurs, qu’est-ce que Franc-Jeu ? 

Victor Gassman (président de Franc-Jeu, VG): Franc-Jeu est la seule troupe de théâtre francophone de McGill. L’association a été créée l’année dernière par Léa Frydman et moi-même. Le Malade imaginaire est notre première production. C’est un peu la résurrection du théâtre francophone à McGill. L’objectif de Franc-Jeu, c’est que tous les étudiants francophones qui veulent faire du théâtre puissent le faire de quelque manière que ce soit. Cela implique des ateliers et des soirées d’improvisation où chacun peut venir et évidemment des productions plus professionnelles comme Le Malade imaginaire ou La Réunification des deux Corées. Il y a eu un franc succès dès le départ qui a témoigné d’une demande pour le théâtre francophone à McGill. 

LD : Le collectif de la Grenouille, qui vous a précédé, a laissé un vide. Vous l’avez comblé ? 

VG : En effet, on essaye de combler le vide qui avait été laissé par la disparition de la troupe La Grenouille. On est maintenant sûr qu’il y avait un vide puisque il y a eu un grand engouement dès le départ, de très nombreuses personnes à nos ateliers, de très nombreuses personnes aux auditions, et on attend beaucoup de spectateurs pour la pièce. Il y a eu beaucoup d’enthousiasme de la part de la communauté de l’AÉUM pour voir la résurrection du théâtre francophone à McGill. (Amen collectif)

LD : Michaël, quelle est votre expérience en tant que metteur en scène ?

Michaël Blais (metteur en scène, MB): Je suis à Montréal depuis quatre ans. J’ai déjà mis en scène un Molière, la pièce Georges Dandin. Je viens de Sherbrooke, qui est une petite ville pas très loin de Montréal. Je voulais ressusciter moi aussi le théâtre français classique dans la ville de Sherbrooke, donc avec des amis on a décidé de monter le théâtre des Douze coups. Avant, j’avais fait d’autres mises en scène comme Jocelyne Trudel trouvée morte dans ses larmes de Marie Laberge. Je me concentre surtout sur des pièces de répertoire classique ; je trouve ça important de faire revivre ces textes qui sont parfois poussiéreux et de leur donner une couleur différente. On peut leur apporter quelque chose. 

LD : Vous pensiez jouer une comédie, plus particulièrement Le Malade imaginaire, dès le départ ? Quelles étaient les autres possibilités ?

MB : Pour moi, le choix de Molière s’imposait. Pour la première pièce de Franc-Jeu je trouvait ça intéressant de prendre le répertoire de Molière. J’ai cru comprendre que l’intention de Franc-Jeu, c’était de rendre le théâtre accessible aux gens qui le pratiquent et qui le regardent. J’ai essayé de garder l’aspect accessible en tête pendant toute la mise en scène. C’est aussi ma démarche artistique, si j’en ai une. Molière est un auteur que je connais bien, le choix était assez clair dès le départ ; il fallait que je me sente à l’aise pour pouvoir mettre en scène. En ce qui concerne le choix de la pièce, Le Malade imaginaire est pour moi la pièce la plus aboutie de Molière. 

VG : Pour Franc-Jeu, c’est en lien avec ce que j’ai dit toute à l’heure : on n’a pas de ligne artistique. On tient à ne pas avoir de ligne artistique parce qu’on tient à ce que les gens qui ont des projets en tête puissent les réaliser avec l’aide de Franc-Jeu. Du coup, Michaël et son équipe, avec Virginie [Daigle] et Laurence [Lafortune], sont venus nous voir en nous demandant si on voulait travailler avec eux pour cette production. Ça s’est fait parce que pour nous, tout projet de théâtre francophone qui veut être mis en place par un étudiant de McGill doit être mis en place. 

LD : Le Malade imaginaire est, à l’origine, une comédie-ballet ; avez vous gardé cet aspect-là de la pièce ? 

MB : On n’a pas gardé les ballets en tant que tel. Par contre, Le Malade imaginaire est une pièce hybride composée de deux langues différentes – le français et le latin –, donc la finale en latin est conservée pour le bien de la pièce. Dans l’ensemble, le texte est gardé de façon intégrale mis à part les ballets. 

LD : Quant à l’aspect musical ?

MB : Il y a effectivement une petite scène chantée qu’on a gardée ; on a essayé de la moderniser un petit peu en associant le texte à de la musique moderne. D’ailleurs, on a fini de déterminer juste avant l’entrevue la musique qui servira d’intermédiaire entre les actes. C’est assez moderne, électrique… La musique est un bon outil pour rendre Molière accessible et moderne. 

LD : Histoire d’apporter une petite touche de fraicheur ?

MB : Absolument, un journaliste m’avait interviewé à Sherbrooke pour parler de Georges Dandin. Le titre c’était « Un Molière fardé de Pop » puisqu’on avait utilisé Lady Gaga et les Black Eyed Peas sur du Molière. Ce n’est pas ce que l’on fait ici mais ça ressemble un peu, peut-être un Molière fardé d’électro. En tout cas c’est un Molière fardé. Je trouve ça intéressant d’associer la mode, les costumes et la musique électronique avec du théâtre et au texte de Molière qui lui-même est très extravagant et excentrique. 

LD : Quelle était l’ambiance lors des répétitions ? 

François-Xavier Tremblay (Argan, F‑X): L’ambiance est généralement bonne, il n’y a pas eu de prises de tête. Il y a beaucoup de moments où on déconne, peut-être un peu trop même, d’où l’esprit de camaraderie. En général l’ambiance est très plaisante. À chaque fois, j’ai hâte d’aller répéter. C’est mon bonbon de la semaine.

MB : Il y a eu différentes formes de répétitions. Parfois on les faisait tous ensemble tandis qu’à certains moments on faisait des ateliers de groupe.

F‑X : Pour ma part j’ai préféré les ateliers plus intimes, ça nous poussait plus à s’exprimer.

LD : Combien d’heures de répétition avez-vous fait depuis le début ?

MB : On a commencé les répétitions très en retard. À la session d’automne on n’avait pas commencé à afficher la publicité pour les auditions. Troisième semaine d’automne on faisait les auditions, quatrième semaine on jouait les premières répétitions à raison de deux répétitions par semaine pendant toute la saison d’automne. En janvier, on a continué à faire deux répétitions par semaine et c’est tout. Le temps de répétition était très restreint et pourtant je pense qu’on a accompli un gros boulot en peu de temps ; je suis très satisfait de la qualité de la pièce qui se veut d’ambition professionnelle au niveau de la performance. Je dis ça avec beaucoup d’humilité. 

Virginie Daigle (assistante à la mise en scène, VD): Je suis d’accord avec Michaël. Je pense que dès qu’on a commencé il y avait un sentiment d’urgence. D’abord pour trouver la salle. Cela a été extrêmement difficile et compliqué, mais on y est arrivés. Tout s’est fait étape par étape.

MB : Le fait qu’on était dépourvus de salle est une problématique à laquelle Franc-Jeu s’est porté guerrier. C’est un combat politique que d’obtenir une salle. On est obligés d’aller à l’extérieur des murs de McGill pour pouvoir jouer parce qu’il n’y a aucune structure administrative qui nous permette de jouer une pièce intra-muros à des prix raisonnables.

LD : C’était votre souhait de jouer dans McGill ? Quelle était la procédure ?

VD : On a regardé toutes les salles qui pouvaient être disponibles à McGill. Il y en a trois qui sont équipées pour le théâtre : le TNC qui est pour un public restreint, le Player’s Theatre qui est entièrement booké et Moyse Hall qui est à un prix carrément prohibitif pour les étudiants, environ 15 000 dollars par soir ; impossible, même si on espérait vraiment pouvoir y accéder.

VG : Pour rebondir sur ce qu’a dit Michaël, on a une communauté qui s’agrandit de jour en jour, de personnes extrêmement motivées et c’est vrai qu’on n’a pas forcément les ressources pour vraiment mettre à bien de façon durable tout ce qu’on voudrait faire. Les répétitions se faisaient dans le bâtiment de l’AÉUM, ce qui est en soit très bien, mais c’est vrai que pour les représentations, on se bat aujourd’hui pour avoir une salle attribuée à Franc-Jeu et au théâtre francophone, au moins pour deux productions par an.

LD : Pour vous cette pièce va-t-elle au delà du rire ? Y a‑t-il un message politique ?

MB : Je pense qu’on cherche trop souvent un côté politique au théâtre. J’essaye de mettre en avant l’aspect farcesque puis la singularité d’une société. Il s’agit avant tout de raconter une histoire. Après, il y a toujours cette querelle entre les anciens et les nouveaux qui teinte la pièce. Doit-on regarder en arrière pour aller de l’avant ? C’est sûr que dans une société post-moderne telle que la nôtre, le futur n’est pas garant d’un avenir meilleur et le passé n’est pas forcément ce qu’il y a de plus reluisant. On est un peu dans une sorte de flottement temporel. Ce que je voulais faire ressortir du Malade imaginaire avec un style assez plaqué – on est rarement dans la nuance –, c’est le rire mais aussi démontrer que les apparences l’emportent puisque c’est l’idée qu’Argan se fait de la maladie qui l’emporte sur lui donc les anciens gagnent et l’espoir d’un avenir meilleur… Les clowns sont souvent les plus tristes.

LD : Comment vous sentez vous à neuf jours de la première, un peu stressés j’imagine ?

F‑X : Stressés, c’est même pas la peine de le mentionner, c’est sûr ! Confiants tout de même du travail qu’on a fait et des pas de géants de ces dernières semaines. Une petite hâte, car c’est l’aboutissement d’un travail.

Yoav Hougui (Thomas Diafoirus): C’est vrai qu’on se sent impatients de commencer car c’est toujours un super moment les quelques jours où on est sur scène. Pour ma part, ça fait super longtemps que je n’ai pas fait ça. C’est très excitant ! Je m’en réjouis et je sais que je vais être très triste une fois que ce sera fini. Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à faire du théâtre chaque semaine sans la pièce du Malade imaginaire.

MB : Je suis assez fier du travail qui a était fait jusqu’à maintenant. Pour moi ça serait le sentiment de fierté, le sentiment du devoir accompli aussi, on n’est pas si loin de ce que j’imaginais. Quant à la performance, cela a été au-delà de mes attentes, je [ne] m’attendais pas à un tel niveau de jeu. 

LD : Qui est le personnage sur l’affiche ?

(Les regards se tournent vers Francois-Xavier.)

VG : Il est magnifique. 

LD : Il fait peur tout de même. 

F‑X : C’est une des facettes du personnage. Dans la construction, je suis allé chercher ce qu’il y avait de laid en moi. Le vieux monsieur qui se cache en chaque personne est là. Ce qui est intéressant chez ce personnage, c’est qu’il peut passer d’un moment de pure joie à un moment de pure colère en une fraction de seconde. 

MB : C’est Gabriel Cholette, qui est un étudiant en maitrise du département de littérature française, qui a signé la conception graphique de tout le projet, l’affiche comprise. Depuis le départ on voulait travailler avec des blocs-couleurs. L’affiche représente bien le côté binaire des personnages. 

LD : Le coût du billet sera de 10 dollars pour les étudiants et de 15 dollars en admission générale. Comment seront reversés les fonds ?

MB : Comme on avait peu de ressources financières de la part de l’Université, on n’a pas tant d’argent que ça à dépenser. J’ai avancé beaucoup d’argent de ma poche, Virginie aussi, donc on va commencer par se rembourser. Après ça, les fonds vont aller à Franc-Jeu dans l’optique de monter d’autres productions. Je [ne] pense pas qu’on va avoir tant d’argent que ça. Le but d’accessibilité se voit aussi dans les prix, 10 dollars n’est pas représentatif d’une pièce de théâtre ni de la valeur de la production. C’est un prix forfaitaire et généreux qu’on offre à nos spectateurs. 

LD : Quelle sera la prochaine pièce de Franc-Jeu ?

VG : La prochaine pièce de Franc-Jeu, on la connaît et la troupe est déjà montée, c’est La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat. C’est une pièce pour le coup très contemporaine qui parle de l’amour et du couple dans la société. On a essayé de faire quelque chose de complètement différent par rapport au Malade imaginaire.

LD : Merci pour vos réponses et votre énergie ; quelque chose à ajouter ?

VG : Venez voir la pièce ! C’est pour tout le monde, ce n’est pas que pour les amateurs de théâtre. C’est une soirée différente de vos soirées habituelles. J’ai rarement autant ri qu’avec du Molière. J’ai déjà vu du Molière à la Comédie-Française, que cette pièce soit interprétée par des étudiants lui donne un goût totalement différent. C’est marrant, c’est un beau projet, c’est une troupe extrêmement motivée avec beaucoup d’énergie et puis, un peu de théâtre de temps en temps ne fait de mal à personne. 


Articles en lien