Avec Épopée Nord, le Théâtre du Futur livre le troisième volet de sa Trilogie du Québec, qui avait commencé avec Clotaire Rapaille, l’opéra-rock (2012) et L’assassinat du président (2013). Il fait bon vivre dans la république du Québec, désormais que la question constitutionnelle a été écartée. Mais toute prospère qu’elle soit, la jeune nation n’a pas guéri tous ses bobos identitaires pour autant. En fait, c’est le plus ancien de tous qui lui pend au bout du nez : les Premières Nations.
En direct d’un futur fêlé
Nous sommes en 2035. De quelques glouglous d’erlenmeyer et sorcellerie de clonage surgissent huit millions d’Amérindiens qui réclament la rigoureuse application du traité de Valleyfield de 2029 qui partage le territoire québécois « au prorata de la population ». Les Québécois de souche trop enracinés pour retourner en Europe se trouvent réduits à faire des pâtés dans le Village d’antan de Drummondville.
Ils avaient été avertis, pourtant, dix ans plus tôt, et sept fois plutôt qu’une. La pièce, d’ailleurs, s’amorce sur cet avertissement. Un Fred Pellerin hirsute fait irruption dans le studio de Denis Lévesque, interrompant l’entrevue que ce dernier mène avec sérieux et un homme-pénis. Stupeur, consternation, on le tenait pour mort. « Soyez prêts », lance-t-il avant de faire de même du haut du pont Jacques-Cartier. Devant un Québec ébahi et pétrifié, six clones répètent l’avertissement, et le vol plané.Rocambolesque ? Tout à fait.
S’il n’y a pas d’avenir, autant l’inventer
C’est que le Théâtre du Futur se donne tous les droits. Les lendemains qu’il dessine sont improbables mais pas inimaginables. Après tout, de l’imagination, les fondateurs de la troupe en ont à revendre : aux crayons, l’absurdité jouissive et précise de Guillaume Tremblay et d’Olivier Morin, aux baguettes, la ligne surréaliste et éclatée du multi-instrumentiste Navet confit.
Pour l’aider à incarner l’improbable galerie (ou chasse-galerie) de personnages rapaillés qui tourbillonnent dans Épopée Nord, le trio du futur a trouvé un brelan de dames : Ariane Zita (discrète dans son rôle presque exclusivement musical), Virginie Morin (roucoulante dans ses déhanchements) et Myriam Fournier (dont le jeu uniforme finit par faire figure de point d’ancrage).
Qui aime bien châtie bien, la bande de joyeux drilles chérit de toute évidence cette Belle Province dont il tripote l’identité collective à coup de craques, de criques et d’accords de guitare. On ne fait pas dans la provocation, on grossit à éclater, de rire. L’allant et gaieté des soirées canadiennes – il y a quelque chose du radio-théâtre dans la mise en scène d’Olivier Morin – l’emportent sur les coups bas et la critique sociale. « Un show guérisseur de folklore malade », explique Guillaume Tremblay. Il n’a pas tort, mais au final, la pilule a été copieusement enrobée de sirop de sapin.
Pour peu qu’il y réfléchisse un instant, cette petite blague sur le gyros ou le petit refrain grinçant de cette chanson à répondre rendrait le spectateur inconfortable, ou sociologiquement dubitatif, mais voilà, on n’a pas le temps d’y penser et l’on est déjà emporté par une autre vague (de délire) vers une autre plage (musicale) et, l’entrain l’emporte, nous voilà à swinger la bacaisse dans le fond de la boîte à bois.
La boîte à bois, en l’occurrence, c’est l’intime salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, réaménagée en coin du feu, où vous aurez été accueilli avec des shooters de caribou, deux dollars, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour encourager les arts et réchauffer une salle qui, rapidement, n’en aura pas besoin.
Si le futur est sombre, c’est parce que le fun est noir. Conte à relais délirant et déjanté, Épopée Nord propose un regard turbulent sur le Québec : tirez-vous une bûche, entrez dans la danse et rigolez ferme ; les petites croûtes qu’on gratte, vous aurez le loisir de les examiner plus tard. Si la proposition vous intéresse, dépêchez-vous, les billets des représentations supplémentaires sont eux aussi déjà presque tous vendus.