Des personnages, sans doute les acteurs du Groupe de poésie moderne (GPM) eux-mêmes, en quête de leur chemin et aussi d’un dénommé Bob, peut-être leur metteur en scène, qui pourrait les guider à travers les méandres d’un univers disjoint, et qui, évidemment, s’enfoncent toujours davantage, dans un écheveau narratif polymorphe, qui prend les proportions du tunnel d’Alice aux pays des merveilles – voilà la trame narrative.
On ne sait pas très bien où cela commence ni où cela finit, mais l’essentiel n’est-il pas le voyage ?
Mosaïque cosmique
Le premier des trois synopsis du programme (rien de moins) annonce une variation sur Crime et Châtiment. Que ni l’étudiant qui suit RUSS-217 « Russia’s Eternal Questions » ni celui qui ignorait que McGill offrît un programme d’études russes et slaves ne se désolent, l’un et l’autre y trouveront leur compte. S’il y a bien un coup de hache comme chez Raskolnikov, c’est une des grandes forces du texte de Bernard Dion et de Benoît « Illytch » Paiement que d’être amplement référencé, mais jamais hermétique. Splendeur du mobilier russe (se) présente (comme) une succession de textes, poèmes en prose, colonnades lexicales, péristyle du temple du prolixe. Le collage est savant : si les textes sont épars, ils ne sont jamais éparpillés. Le langage est impeccablement ajusté, le jeu follement serré et au final, ce sont quatre-vingts minutes nourries, extravagantes et jouissives que nous livre le GPM.
Le tendu et l’inattendu
Vodka, nuits de Petrograd, prose du Transsibérien, tous les clichés y sont, mais le seul lieu commun, c’est la pièce elle-même, ou plutôt les pièces. Car la mise en abyme se matérialise, et comme les comédiens qui prennent tout leur sens en perdant le nord, le spectacle plonge et joue à tous les niveaux. Avant même d’être assis, les spectateurs pensent à une Zazie perdue dans le métro (Frontenac ou Berri-UQAM), alors qu’on les invite vers la salle par le colimaçon d’un escalier de secours, par les cuisines et à travers un miroir. La scénographie (Cassandre Chatonnier, assistée par Claire Renaud) impose l’image de la matriochka alors que trois niveaux de rideaux séparent quatre scènes (ou seulement deux ? ou plutôt cinq ? faut-il tenir compte des techniciens-manipulateurs qui débordent à dessein ? de l’enthousiasme hors de proportion et de propos et des rires décousus fusant des places réservées?).
La mise en scène (Robert Reid, assisté par Agathe Détrieux) exploite le jouet gigogne et l’excentrique concentrique avec imagination et sa troupe zigzague avec expression dans le labyrinthe. L’immersion résonne, crépite. Vous êtes emballés ? Ils sont déballés : les couches de sens tombent, comme les manteaux tombent et les manches se roulent. Pascal Contamine devient l’esthétique singulière du GPM dans les textes qu’il livre avec maestria, Sophie Faucher agit avec précision à travers ses rôles et ce qu’elle a – très justement – appelé le « désir de la consonne qui sonne », Christophe Rapin est rigolo comme tout (manifestement, la salle lui pardonne quelques mots mâchouillés par inadvertance alors qu’il intervient avec la dégaine de Patrick Huard et une chapka sur la tête) et Larissa Corriveau joue Natalya en nattes aussi astucieusement que les babouchkas éplorées, et de l’accordéon en plus. Pour Elizabeth Chouvalidzé, finalement, qui vient flanquer le quatuor vers la fin, s’il faut une réserve, c’est plutôt qu’elle casse la verve et le rythme, avec le coup convenu de la vieille dame et qui du temps qui passe – à moins qu’il ne faille y voir une référence à La dame de pique de Pouchkine ?
Vous ne savez plus où vous êtes ? Eux non plus. Mais l’épopée vaut le déplacement.