Peu de temps après l’ouverture des portes, le petit bar-salon du Centre Phi est déjà presque rempli. Un coup d’œil alentour nous permet de faire un portrait rapide des futurs spectateurs : les mains dans les poches ou un verre à la main, en pleine conversation ou le regard perdu, les Montréalais présents ont le profil de ceux qui questionnent ce qui leur arrive. L’art de questionner, c’est quelque chose que Saul Williams semble maîtriser : rappeur, poète, acteur, écrivain et musicien, il n’hésite pas à se renouveler et débarque sur scène avec son sac à dos, une preuve de plus que l’artiste tient difficilement en place. Originaire de Newburgh dans l’État de New York, il vient aujourd’hui partager son parcours avec le public et le rappeur The Narcicyst, qui anime la discussion.
Saul Williams nous plonge dans le New York des années 90, peu après le commencement du hip-hop tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il nous parle des soirées open-mic, des albums de rap, des lectures de poètes et autres aperçus de la scène culturelle souterraine qui lui ont donné ses premiers élans. Il rigole en disant qu’il possédait tous les albums de rap du moment car il n’y avait pas plus de vingt artistes connus à cette époque. Un conseil lorsque l’on vit dans une ville où tout va très vite : profiter de ce qu’elle a à offrir sans pour autant oublier qu’elle vit grâce à l’énergie de ceux qui l’habitent. Chacun a quelque chose à lui apporter et c’est donc en temps que spectateur mais aussi acteur que Saul Williams a vécu son expérience new-yorkaise.
Au même titre que des rappeurs comme Nas, Mosdef, Wu Tang clan, Talib Kweli ou encore K’naan, Saul Williams fait partie d’un mouvement qui, même s’il a pris de plus en plus d’ampleur, a réussi à conserver une certaine authenticité. Contrairement à la voie que d’autres ont choisie, il honore des groupes tels que le Wu Tang qui ont réussi à garder ce qu’il définit comme l’« underground sensibility » de leurs débuts. Mais le domaine d’intérêt de Saul Williams ne se limite pas à la musique et c’est au cours d’un voyage en Afrique, dans le wagon d’un train de nuit, que lui vient l’envie de jouer différemment avec les mots : à travers la poésie. Il décroche alors une maîtrise en arts dramatiques à l’Université de New York et se familiarise peu à peu avec ce nouveau milieu en fréquentant le monde des cafés poétiques. C’est la poésie qui lui permettra de prendre peu à peu du recul sur le rap et d’affiner son esprit critique vis-à-vis de l’industrie du show business qu’il aspire toujours à contourner.
Au cours de la conférence, il cite Neil Young, Jimi Hendrix : des artistes qui, pour lui, sont parvenus à se projeter au-delà d’eux-mêmes et créer quelque chose de durable qui a traversé plusieurs générations. C’est d’ailleurs à travers de telles influences qu’il a pris conscience de la portée politique de l’art et des dangers de l’indifférence. Beaucoup de choses s’échappent du discours de Saul Williams ; parfois il se lève, fixe le public avec un regard captivant et le rythme de sa voix grave donne du poids à ses idées. Entre deux réflexions, il multiplie les références historiques et politiques, allant de Georges Washington au mouvement Occupy Wall Street en passant par l’épisode Ferguson, et rappelle l’importance de questionner la perspective de l’information que l’on reçoit.
Une chose est sûre, Williams est un vrai M.C (Maître de Cérémonie) et sait capter notre attention. La conférence se clôt sur deux prestations : un poème et une chanson a capella. On aurait voulu que cela dure plus longtemps et l’on ressort de la salle captivé, le cerveau bouillonnant. Toute source d’inspiration est précieuse mais en l’occurrence, cette découverte s’est révélée surprenamment marquante.