C’est la beauté des vers de Molière et la modernité de son propos qui étonnent lorsqu’on assiste à la mise en scène du Misanthrope proposée par Michel Monty. Le metteur en scène place l’action dans un loft du Vieux-Montréal. Les acteurs entrent et sortent par les portes d’un ascenseur ; les sonneries des téléphones cellulaires des personnages répondent aux silences et aux malaises que vivent les personnages entre les alexandrins que les comédiens disent, pour la plupart, avec un grand naturel ; on arrive à croire, l’espace d’une heure et demie, que les bourgeois montréalais ont cette verve issue de la cour de Versailles. Les costumes sont choisis au goût du jour ; complet-cravate, robe de soirée cocktail, chic tailleur, cigarette électronique. Michel Monty transpose ainsi la pièce dans un décor et des costumes contemporains tout en gardant une certaine touche qui rappelle le 17e siècle : dans les décors, des moulures et une tapisserie baroques ; dans les costumes, une sorte d’élégance excentrique dans le plissé des robes et la dorure de certains vêtements.
Il semble néanmoins que la mise en scène insiste trop fortement sur le caractère moderne de la pièce à travers des éléments accessoires comme la scénographie, alors que le texte porte à lui seul ce trait de modernité. Peut-être pourrait-on reprocher à Michel Monty de ne pas faire confiance à l’intelligence de son public pour comprendre les enjeux de la pièce ? Mais n’a‑t-il pas raison de douter ; le public vient-il voir la pièce seulement dans le but de reconnaître sur la scène du théâtre les comédiens qu’il aime dans les téléromans de soirs de semaine ? François Papineau est effectivement égal à lui-même, sans surprise, il aborde le rôle du Misanthrope comme il aborde ses personnages de téléromans : de façon effacée, sombre, taciturne. Le reste de la distribution, même si elle semble servir la vente de billets en montrant des têtes d’affiche de la télévision québécoise, est assez judicieuse : la candeur de Catherine de Léan rend de façon impeccable le rôle de la cousine de Célimène, elle-même interprétée par Bénédicte Décary qui joue aussi bien que ses jambes sont belles ; Isabelle Vincent est toujours aussi naturelle, intelligente et drôle. Il n’y a que Frédéric Pierre qui n’est pas à la hauteur de ses camarades de jeu, les alexandrins lui tombent des lèvres dans un jeu médiocre, moyen.
Ensemble, la troupe raconte l’histoire d’Alceste, un homme qui ne peut souffrir l’hypocrisie et la méchanceté des hommes. Ce trait de caractère, aussi vertueux soit-il, devient dans cette pièce un terrible défaut parce que poussé à l’excès. C’est aussi que les personnages évoluent autour du milieu de la cour, cette société des flatteries et du règne des apparences. Dans ce monde artificiel, ce monde plastique, l’homme qui tient en hargne le mensonge deviendra nécessairement misanthrope. Comble, le personnage tombera amoureux de la maîtresse de la fausseté, Célimène, qui se plaira à entretenir la flamme de plusieurs prétendants.
Souvent considérée comme la pièce la plus sombre de Molière, Le Misanthrope n’en demeure pas moins divertissante ; le jeu et la mise en scène vont en ce sens. C’est une pièce où l’on rit avec sobriété, mais où l’on rit quand même de bon cœur. Malgré une modernisation qui passe par un décor et des costumes actuels, la mise en scène ne prend pas beaucoup de risques. Elle conforte ainsi le public du Rideau Vert qui sort de son salon, qui lâche ses téléromans, pour, l’espace d’une soirée, entendre les vers brillants d’une pièce moderne.